Enigma

Michael Smith est un jeune homme tout ce qu'il y a de plus banal. Il mène une vie médiocre, insatisfaisante. Soudain, apparaissent d'étranges créatures surnaturelles qui agressent les habitants, et surtout un étrange super-héros, L'Énigme, qui combat ces créatures. Et Michael Smith est persuadé d'avoir déjà vu L'Énigme, de le connaître. Mike découvre vite que L'Énigme est un vieux personnage de comic book paru il y a vingt ans, tombé dans l'oubli après seulement trois numéros publiés. Même les super-vilains sont ceux de la bande dessinée…


Dans La Part des ténèbres, Stephen King imaginait qu'un personnage de roman s'incarnait dans notre réalité pour se venger de son créateur qui l'avait tué dans ses romans. Dans Enigma, Peter Milligan travaille longtemps cette idée, cette connexion entre le créateur et la créature de papier, puisque très rapidement Michael Smith a l'idée de retrouver le scénariste à l'origine du comic book L'Énigme.


Mais dans Enigma, Milligan va un peu plus loin, puisque l'intrigue tourne vite autour de trois personnages : la créature, le créateur et le lecteur. On sent bien qu'Enigma devient rapidement métaphorique et qu'il s'agit pour Milligan d'explorer les relations tout à la fois de passion et de haine entre ces trois-là. Il y a dans Enigma la fraîcheur d'une première œuvre importante, l'auteur semble vouloir à tout prix mettre tout ce qui lui tient à cœur, comme si c'était la dernière fois qu'il allait pouvoir s'exprimer (un travers qu'on retrouve aussi au cinéma).


Du coup, Enigma est tout compte fait très intime, et cet album n'échappe pas au problème récurrent des œuvres trop originales : soit on va rentrer dans cet univers personnel si particulier, si perturbant, soit au contraire, son côté imprévisible va dérouter le lecteur. Enigma ne rentre dans aucune case.


Un autre aspect particulier de cet album, c'est qu'il s'agit d'un des tous premiers titres du label Vertigo de chez DC Comics (avec Death : The High Cost of Life en mars 1993). Pour mémoire, il s'agit d'une filiale spécialisée dans l'édition de comic books fantastiques, avec des thèmes plus adultes, ou plus violent ou à forte connotation sexuelle. Cette édition française par Urban Comics a donc valeur historique. Et il est intéressant de constater plus de vingt ans après à quel point Enigma a imprimé un style Vertigo à l'ensemble de la gamme dès cette première publication. Beaucoup d’œuvres à venir ensuite utiliseront ce ton, cette ambiance. Je pense par exemple à Hellblazer (dont je vous disais le plus grand bien ici). Graphiquement aussi, le trait de Duncan Fegredo est dans le plus pur style Vertigo, avec un caractère incroyable.


À la fin de cet album, on a un peu l'impression que Milligan ne parvient pas à finir son histoire, à quitter ses personnages, comme s'il hésitait à donner une réponse trop tranchée. Du coup, Enigma finit un peu mollement, dans une espèce de flou entretenu. C'est vraiment le genre d'album à lire en prenant plaisir en cours de lecture, et pas dans l'attente d'un final époustouflant qui répondrait à toute les questions. Il faut lire Enigma en ayant en tête cette très belle phrase d'Anne Hébert : « Je ne me demande pas où mènent les routes ; c'est pour le trajet que je pars. »


Si vous êtes prêts à lire une histoire qui sort des sentiers battus, qui réfléchit à son propre média, Enigma est fait pour vous, je ne saurais trop vous conseiller ce magnifique album plein de mystères, de charme et de finesse.



Stéphane Le Troëdec




Peter Milligan (scénario) et Duncan Fegredo (dessins)

Enigma

Cet album compile les épisodes 01 à 08 de la série Enigma publiée aux USA par Vertigo Comics.

Édité en France par Urban Comics (12 juin 2015)

Collection Vertigo Deluxe

224 pages

19 euros

ISBN : 9782365776493



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