le Parfum, histoire d'un meurtrier, adaptation esthétisante du roman de Süskind

Adapter Süskind est une gageure assez ardue. Et ce Parfum, livre si tant remarquable, d’autant plus parce qu’il s’agit avant tout d’une transposition en personnage de la métaphysique de son auteur et d’une quête, sans galvauder le mot, au terme de laquelle un être va trouver littéralement le sens de la vie. Car avoir un accès magique au réel par l’odorat c’est trouver l’essence de chaque chose telle qu’elle est voilée au reste des hommes, pauvres mortels, et c’est atteindre donc à une manière de divinité. 

C’est donc le destin de Jean-Baptiste Grenouille, né en 1744 dans la fange des marchés parisiens d’une mère qui sera exécutée pour avoir essayé de le tuer sitôt coupé de cordon, qu’on nous raconte. Sitôt « libre », le voilà confié à un orphelinat où il va apprendre sa différence. Car Jean-Baptiste Grenouille, au sens propre, est un monstre, disgracieux, chétif, atteint de défaillances acquises par les traitements de ses maîtres successifs, jusqu’à ce qu’il s’impose chez un maître parfumeur qui va tout lui apprendre. Mais là ou Süskind exploite la délicatesse du sensible l’adaptation fait un spectacle du monstre devenu génie, qui sort comme par magie de sa gangue de crasse sitôt les flacons aperçus (car il sent à travers) et le voilà qui surpasse le maître (joué par un Dustin Hoffmann qui a été meilleur) en lui fournissant des mélanges exquis et qui redore son blason. Il ne reste à Grenouille qu’à apprendre la technique pour être libre tout à fait.

C’est cette technique de captation des parfums qui va le conduire à rechercher l’essence suprême, celle de la pureté et de la vie, dont Grenouille découvre qu’elle émane du corps des jeunes filles. Cela fait-il de lui un prédateur ? non, il commence par payer une prostituée pour se faire enduire de cire et bander le bras (technique d’imprégnation), mais la fille revient sur son accord, rejette Grenouille qui est obligé, comme mû par une volonté supérieure, de forcer son cobaye… Le reste ne sera qu’une série de perfectionnements et d’accumulation de matière pour composer le parfum si puissant qu’il donne le pouvoir de Dieu. 

Le surfait

Il y a dans la mise en scène un excès volontaire (de plans et de jeux de caméra notamment), une saturation des couleurs et une théâtralisation de la laideur qui nous plonge dans un univers Delicatessen qui semble déplacé. Et même si Süskind appuie avec conviction sur la crasse des rues et des gens, celle du film est trop travaillée pour laisser place au réel. Car c'est dans le réel que s'inscrit le roman et c'est du réel, nauséabond, que Grenouille doit renaître en ange nouveau, pas d'un conte... D'ailleurs, simplifiant à l'excès la nature du personnage, Grenouille est monotone, froid calculateur au regard insidieux : il est campé par un acteur qui lui donne un côté mystérieux qu’il n’a pas, car sa vie est une quête et pas une action. Si le jeu n’est pas faux, il est orienté du mauvais côté, car sans doute le réalisateur a-t-il été plus attentif au sous-titre qu’à la métaphysique du roman.

Histoire d’un meurtre ?

Tout vient, je le crains, d’une erreur de lecture qui se dévoile dès le générique. Pourquoi placer Jean-Baptiste Grenouille dans la série nauséabonde des serial killer alors que la seule préoccupation, ce n’est pas de tuer — ceci est un épiphénomène,  un dommage collatérale comme l’on dit… — mais de recueillir le suc de la vie, l’âme même de la chose la plus précieuse pace que c’est celle qui lui manque, pour s’en parer et, enfin, du monstre devenir un homme. Rien de plus, rien de moins, un homme. Mais pas non plus n’importe quel homme, puisqu’il va atteindre à une réussite étonnante de son flacon et devenir l’Homme en soi, quasi divin, que tous aiment parce que chacun y voit ce qu’il y a de meilleur. 

Alors oui il tue, des jeunes filles, et en masse, mais cela n’est que la résultante de sa quête, pas le but. 

Bref, très esthétisé, cette adaptation n’est pas inutile, car elle ouvre de nouveau la voie à un cinéma littéraire qui nie l’action, mais elle échoue en cours de route et, entre le divertissement qu’elle n’est pas (c’est quand même parfois fort dénué de tout attrait) et la vertu littéraire qu'elle n'a pas, cette adaptation n'est au final qu'une chose très moyenne. Dommage, avec un si prodigieux support !

Loïc Di Stefano 

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