Delon et Romy, un amour impossible

FANTÔME D’AMOURPublier des ouvrages sur Laurel & Hardy ou sur Jerry Lewis & Dean Martin, quoi de plus naturel ? Mais un livre sur Alain Delon et Romy Schneider relève-t-il bien de la critique cinématographique ? Certes, ils ont tourné tous deux quelques films ensemble, dont la Piscine et l’Assassinat de Trotsky, et les amateurs de théâtre se souviennent sans doute encore qu’ils étaient même montés sur les planches pour interpréter sous la direction de Visconti Dommage qu’elle soit une putain, mais ils n’ont jamais construit à eux deux une véritable œuvre, et c’est individuellement, ou avec d’autres, qu’ils ont chacun acquis leurs plus beaux titres de gloire. Et donc, il faut bien se rendre à l’évidence : un ouvrage sur Delon et Schneider ne saurait être a priori autre chose qu’un grand article de magazine people. Et l’anagramme de people, n’est-ce pas le pipo ? On n’a donc a priori pas envie d’accorder une attention très soutenue au livre de Bertrand Tessier intitulé Delon & Romy — Un Amour impossible. La quatrième de couv’ et ses interrogations existentielles du type « Quels sont les secrets de leur romance ? » seraient même un vrai turnoff pour les amateurs de cinéma ou, tout simplement, les gens un peu sérieux.Toutefois, les choses sont plus compliquées. D’abord, il serait vain de prétendre qu’il n’y a pas là un sujet. Nous faisons ici un sort particulier à l’ouvrage de Bertrand Tessier parce que celui-ci a précédemment commis une biographie de Belmondo plutôt bien enlevée, mais il faut savoir qu’il existe au moins trois autres ouvrages, sortis à peu près en même temps, sur le « couple mythique ». Et, disons-le, sur le même mystère. Car Delon et Schneider n’ont pas seulement très peu tourné ensemble ; ils n’ont pas non plus beaucoup vécu ensemble. Si les photos qui les réunissent sont, certes, assez nombreuses, elles ont souvent été prises lors de premières ou de festivals et ne sont donc guère significatives. Ajoutons enfin qu’il n’est pas sûr que nos deux héros soient de ceux qui permettent au public une identification spontanée. Entre, d’un côté, Delon n’hésitant pas — si l’on en croit un témoignage de Brialy sur ses jeunes années — à utiliser un petit pistolet pour ouvrir la voiture d’une maîtresse refusant de lui passer les clefs de celle-ci et, de l’autre, Schneider recourant de plus en plus à l’alcool pour oublier ses peines, le sentiment qui domine chez le lecteur, à côté d’une réelle compassion, est surtout la perplexité.Mais c’est en fait dans ses vides que cette bi-biographie est le plus intéressante. Comme sa matière n’est pas extensible à l’infini, Tessier, par la force des choses, se laisse aller à certains « hors sujet », à certains petits portraits (Sautet ici, Coco Chanel là, Visconti absolument partout…) qui sont comme des vignettes d’un panorama du cinéma international de la deuxième moitié du XXe siècle. Plus profondément, il y a dans cette histoire quelque chose de flaubertien, et qu’annonçait d’ailleurs dès le départ  le sous-titre, Un Amour impossible, plus important que le titre : le couple Delon-Schneider ne vaut pas tant, aux yeux du public et peut-être même aux yeux des intéressés eux-mêmes, par ce qu’il a été que par ce qu’il aurait pu être. La clef de l’ouvrage est sans doute une phrase que Delon aurait prononcée alors que les chemins de l’un et de l’autre s’étaient séparés depuis longtemps : « J’aurais dû l’épouser. » Nous ne sommes plus dans une bio — nous sommes à la fin de l’Éducation sentimentale. Frédéric et Deslauriers évoquent, non pas ce qu’ils ont fait dans leur jeunesse, mais les projets qu’ils ont eus et qu’ils n’ont pas réalisés. C’est là sans doute, dans cette frustration même, que le public a pu s’identifier à ces deux figures. Le rêve d’un rêve…FAL 

Bertrand Tessier, Delon & Romy, un amour impossible, Le Rocher, janvier 2010, 18 euros

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