L’exposition romanesque de Cécile Mainard

N’allez pas croire que Cécile Mainardi se déconstruit, loin de là, elle est bien trop perchée à mille lieues des modes et autres idéologies d’un jour, seule manière de demeurer vivante dans ce monde dénué de sens enclin à une violence sourde et rampante, donc point de clin d’œil au woke, mais plutôt une forme d’expression qui se concentre sur l’essentiel, ces angles morts si chers à Alain Fleischer dans lesquels brille la substantifique moelle de la vie ; et pour l’en extraire encore faudrait-il regarder dans la bonne direction, admettre l’avoir vue et surtout comprendre ce que l’on a si souvent sous le nez sans même sans rendre compte. Attention opération dessiller les pupilles en cours !
Procédant comme en poésie lorsque l’on chasse particule, préposition, mot de trop pour resserrer la narration et fluidifier la musicalité du rythme, voici donc le premier opus de Cécile Mainard et le septième… sera l’apparition d’un nouveau M au catalogue ; après M le maudit (Fritz Lang) et La Marque jaune (Black & Mortimer)…
Tout débuta par un reflet, cette autre image que l’on capte dans un miroir, une vitre, un clin d’œil du soleil sur une façade, une vitrine, manifestation des possibles qui détourne les formes et enchante l’aquarelliste autrichien Salzman dont les œuvres sublimissimes témoignent de cette émotion ressentie à la découverte de ces formes passagères, éphémères le temps d’une captation de l’œil pour que la main reproduise, à l’atelier, les contours d’une réalité déjà disparue. Ainsi, madame Mainard renonça à sa lettre dans l’extase d’une révélation suite à l’étude d’une pièce de l’usurpateur Duchamp, lequel, s’il fut une peintre remarquable, préféra abdiquer face à sa flemme et reconvertir des objets usuels en soi-disant œuvre d’art, ready-made, prêt à l’emploi donc prêt à penser, initiateur d’un art tout en un porté vers le coupage des cheveux en quatre puis en douze afin de justifier l’injustifiable c’est-à-dire la supercherie.
La femme de Paul Auster, Siri Hustvedt, jeta un pavé dans la mare de l’art contemporain en démasquant l’infâme dans un livre remarquable paru en 2019 (Souvenirs de l’avenir, Actes Sud) dans lequel – documents et preuves à l’appui – elle affiche le vol pur et simple de Marcel Duchamp qui s’est approprié l’urinoir renversé. Hé oui, ce n’est pas lui l’inventeur mais la baronne Freytag-Loringhoven qui, n'étant qu'une femme portée sur les œuvres scatologiques, ne peut donc pas intégrer ce que la pensée (sic) de Marcel Duchamp exprime. Autre temps, autres mœurs. À l’origine donc, point de Verbe mais une Fontaine présentée sous le pseudonyme de Richard Mutt, refusée comme il se doit dans ce XIXe siècle pudibond. Dix ans après la mort de la baronne, Duchamp tenta son coup de bluff et rafla la mise… 

Si les concepts développés par la suite poussent plus à rire qu’à s’extasier, on se demandera toujours pourquoi ce larcin alors qu’il y avait tant à faire d’original tout en restant honnête. Sans doute l’idée de transgresser jusqu’à son plus profond possible excita le peintre fatigué de descendre un escalier sans fin. Et alors Cécile Mainard entre en scène en jouant avec les détails cachés, détournés, oubliés par l’artiste et/ou la critique et développe une pensée onirique qui enveloppe bien plus que la seule théorie de Duchamp. C’est ici l’intérêt du livre, cette démarche empirique qui déplace les normes et appelle à réfléchir (oui, je sais, cela va en troubler plus d’un par les temps qui courent, mais s’il vous plaît, faites un effort, c’est pour votre bien-être général ; vous savez ce que l’on appelait jadis la culture générale qui n’est pas, mais pas du tout dans les pages Facebook et Twitter quoi que vous en pensiez) ; bref, ouvrez ce petit livre – qui tient dans la poche et vous accompagnera donc partout – et embarquez dans l’aventure tridimensionnelle d’une découverte…

Reposant sur une seule œuvre, Mainard renvoie aux canons de l’histoire de l’art comme autant de piliers qui portent l’immatérialité, finalement, car c’est bien de spiritualité dont on parle ici, de ce qui est généré par la confrontation du regardeur face à l’œuvre, cette réaction physique, émotionnelle, olfactive, sensorielle… qui induit l’envol de l’âme vers autre chose qu’un objet touché, admiré, possédé…
Duchamp voleur voulut-il endosser l’habit d’un serial killer et laisser des petits cailloux sur son chemin de Damas pour mieux se faire prendre ? Wanted figure bien en haut des affiches dans les westerns, alors on recherche Marcel Duchamp pour mieux le pendre les pieds au plafond ? Coquin ce Duchamp ou pervers narcissique ? L’art aussi est un jeu, et pas seulement de dupes, il déploie toutes sortes de combinaisons qui se superposent, se mélangent, se croisent au détriment du beau bien souvent, trop engagé parfois dans le message politique, mais tout est politique depuis 1968, ce qui veut aussi dire que plus rien ne l’est. Mais la vie est un roman... et le restera.

François Xavier

Cécile Mainard, Roman d’exposition – Performance under reading conditions, coll. ShusLarry, art&fiction, mars 2023, 170 p.-, 14€

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