Le ciseau comme une épée, la sculpteure Félicie de Fauveau

Elle pourrait facilement être une héroïne de roman, incarner un seigneur qui protège sa terre, ou une sainte qui combat pour sa foi, tant sa vie est riche en surprises, rebondissements, engagements. Elle s’insurge, elle se cache, « elle chevauche nuit et jour, vêtue en homme, pistolet au gilet, apportant messages, armes et munitions aux partisans », elle est déportée, elle s’exile, elle ouvre un atelier à Florence, elle rencontre une famille anglaise, ce qui par mille détours l’amènera à être en relations avec un Lord écossais. Sa devise parle autant pour elle que pour son œuvre trop longtemps méconnu et enfin reconnu. Félicie de Fauveau est une femme entrée en résistance et en dissidence, depuis toujours, entière, militante, avec la plume et le ciseau, les tenant tour à tour comme elle aurait manié l’épée pour défendre les causes qui lui semblaient justes et ciseler les ailes des chevaliers vainqueurs qui encadrent La Lampe de saint Michel. Entre l’Italie et la Vendée, se déploie comme un étendard son destin à la fois de femme et d’artiste, l’une et l’autre écartelées entre ses trois mots qui ornent comme un blason la dalle funéraire sous laquelle elle repose : Labeur, Honneur, Douleur. Félicie de Fauveau (1801-1886) représente une figure unique, à part dans la sculpture française, à part aussi dans l’histoire de cette province dont elle épousa, à défaut de tout autre mariage, la cause.

 

Sa silhouette et son style sont taillés par les mots qui s’attachent à elle, catholique, féministe, légitimiste, aristocratique, et finalement extravagante avec raison et passion. En somme, une seconde Jeanne d’Arc qui travaille le marbre, dessine des couronnes et des bracelets, des calices et des poignards, conçoit des stèles et des encadrements, lit la Bible et Walter Scott, écrit, avec un rare sens des images, des lettres qui révèlent les contrastes de son caractère, poétique et intransigeant. Romantique, médiévale, terrienne, parisienne, elle forge des liens avec les plus grands noms de l’époque, la duchesse de Berry,  le duc de Bordeaux, Nicolas 1er, Paul Delaroche, Mathilde Bonaparte et Anatole Demidoff. « Jamais elle n’a rien fait de vulgaire et jamais marbre, bronze ou bois n’est jamais sorti de ses mains sans porter le cachet plus ou moins réussi de son individualité », notera dans un portrait posthume le baron de Coubertin.

 

L’historien et journaliste Jacques Crétineau Joly (1803-1875) dresse un portrait emporté de Félicie de Fauveau dans ses pages consacrées à la Vendée et compose un poème en 1832 à l’intention de cette « demoiselle soldat ». Pour sa part, Stendhal, également enthousiaste devant le talent de la sculptrice et sa manière de traiter les volumes, considérant qu’elle relie l’antique au moderne, salue les innovations dont elle est capable et la place idéalement entre Phidias et Canova. L’écrivain était en effet sensible à la force expressive du bas-relief de Fauveau, Christine, reine de Suède, refusant la grâce de son grand écuyer Monaldeschi, œuvre de 1827. Comment d’ailleurs ne pas avoir le même engouement en regardant certaines pièces qui sont à la charnière de la Renaissance dont elle avait été marquée durant son séjour italien et du gothique tel que le reprit le XIXème siècle.

 

L’ouvrage qui est publié à l’occasion de la double exposition d’une partie des œuvres (Historial de la Vendée et musée d’Orsay) de celle qui est appelée désormais L’Amazone de la sculpture présente l’état actuel des connaissances sur la vie de l’artiste et ses nombreux et multiples travaux. Fruit d’une riche collaboration entre historiens et conservateurs, comprenant une biographie détaillée et des commentaires très intéressants sur les œuvres, ce catalogue constitue une véritable somme rendant compte des recherches conduites jusqu’à maintenant sur Félicie de Fauveau et met en valeur l’immense legs qu’elle a laissé aux plans artistique et historique. Il s’agit bien de découvrir une femme entièrement vouée à la cause royaliste et à son art, dont l’originalité avant tout est la marque distinctive. Que ce soit avec les bustes, souvent dans une niche ou une coquille, l’ensemble de la statuaire, les monuments divers à la mémoire de grands personnages et résultant de commandes ou encore les motifs de décoration, elle fait preuve d’un savoir esthétique et d’une volonté supérieure, d’une délicatesse que compense une hardiesse des formes, aveu et témoignage de sa personnalité qui, sortie ainsi de l’oubli, conquiert une reconnaissance méritée et dorénavant assurée.

 

Dominique Vergnon

 

Sylvain Bellanger, Jacques de Caso, Félicie de Fauveau, L’Amazone de la sculpture, Gallimard, 16,6x22,5 cm, 370 pages, mai 2013, 45 euros

Sur le même thème

2 commentaires

ah non, monsieur Vergnon, la "sculpteure" mais quelle gageure, quelle mouche vous a piqué ? c'est ridicule comme la "sculptrice" ou l'écrivaine ; cette manie de féminiser ce qui n'est pas ! le neutre est masculin en français, et alors ? madame le secrétaire de l'Académie française ne s'en offusque pas, tout comme madame l'ambassadeur car, l'ambassadrice, ce n'est que la femme de l'ambassadeur ; bref, cessons ce courant de dite modernité qui veut tout changer tout le temps pour rien, sauf à perdre le sens donc l'âme dans une uniformisation consensuelle de la normalisation outrancière qui nie la différence... n'est-il pas ? 

joli papier monsieur Vergnon qui m'a incité à me rendre au musée d'Orsay et admirer le travail très puissant de cette "sculpteure"