Voir le printemps au Japon

L’Hanami ou savoir regarder les fleurs, une ancienne tradition datant du VIIIe siècle, c’est à dire l’ère de Nara.
Admirer les fleurs, parce qu’elles témoignent en premier lieu après les rigueurs de l’hiver du retour de la nature, mieux de la réapparition de la vie dans son ensemble. Contempler avant tout les fleurs des cerisiers, les plus précieuses, les plus soyeuses.
C’est aussi savoir regarder l’éclosion de tout ce qui participe à ce nouveau départ du monde visuel et spirituel, les insectes et les oiseaux, l’eau des cascades libérées du gel, l’allongement des jours, les reflets de la lune, les sourires des enfants et l’élégance des femmes en kimono. L’esprit ressent comme une allégresse, le corps comme une reprise des forces. Il y a, flottant dans l’atmosphère, de la paix, de la joie, une espèce de concorde universelle. Le grand poète que fut Matsuo Bashô (1644-1694) dans un haïku bien connu au Japon, résume à sa manière ce moment précieux :

La cloche se tait.
Les fleurs en écho
parfument le soir !

Un autre poète, Kobayashi Issa (1763-1828), exprime d’une autre façon ce temps où la vie renaît mais en associant dans une même vision ce qui vit et bouge à ce qui semble inerte et stable.

Jour de printemps.
Une seule flaque
Retient le couchant

Au début de ce livre, l’auteur écrit que, sublimé dans la poésie et la peinture, le printemps est l’une des principales sources d’inspiration des estampes japonaises, autrement dit des artistes qui ont réussi à traduire sur le papier ce passage éphémère afin de le fixer, de l’immortaliser dit également Jocelyn Bouquillard, ou du moins de tenter d’éterniser pour les yeux ce qui rend compte de la fugacité de l’instant, de la fragilité de toute chose, de la vulnérabilité de ce que l’on croît impérissable.
Les estampes sont présentées en accordéon ce qui permet de les déployer et de les comparer dans leurs couleurs, leurs contrastes, leurs approches plus détaillées ou au contraire vues selon d’amples perspectives. Elles sont l’œuvre de dix-sept artistes, certains très renommés comme Utamaro, Hokusai, Kunisada, Hiroshige, d’autres pour ainsi dire inconnus.

Tous, selon leur sensibilité et leur point d’intérêt, saisissent un aspect de la saison, les uns les arbres comme le cognassier, le poirier, le paulownia ou le prunier, les autres les plantes et les fleurs comme le narcisse, le camélia, la campanule, l’hibiscus, le trèfle, d’autres encore les oiseaux, tels le moineau de Java, la mésange nonnette, le loriot à tête noire, d’autres enfin des lieux et des activités humaines ou les loisirs en accord avec les jours, par exemple un ermitage, les bords d’une rivière, une montagne, la cérémonie du thé, une promenade, la musique du shamisen, l’entretien amoureux.
Le lecteur se promène à travers le pays, il flâne dans des décors qui allient les lointains aux intérieurs immédiats, il avance dans un jardin, le long d’un barrage, un parc floral, il aperçoit le mont Fuji, il se repose dans un pavillon à côté d’un étang. Chacun de ces maîtres a son style, ses préférences en matière de composition, de cadrage, de format. Ils capturent l’immense diversité des paysages…ils mettent en lumière la majesté et la beauté de la nature printanière note l’auteur.
Ces pages, en harmonie de tons, délicatesse de sujets, épanouissement de formes, relatent cette renaissance annuelle, en privilégient les symboles et la matérialité, en résument de la meilleure manière possible l’esthétique et rendent compte dans une suite raffinée d’un des cycles les plus joyeux et des plus nostalgiques de la nature.

Dominique Vergnon

Jocelyn Bouquillard, Le printemps par les grands maîtres de l’estampe japonaise, (coffret) 172x246 mm, 118 illustrations, éditions Hazan, avril 2024, 120 p.- , 35€

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.