Manger, une histoire d’art et de manières

Thèmes Arts

Selon Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), le célèbre gastronome auteur de La physiologie du goût, la cuisine serait le plus ancien des arts. Il ajoutait non sans humour parce qu’Adam naquit à jeun. Après la main en effet, les premiers outils de l’homme s’inspirant et exploitant avec intelligence ce que pouvait lui offrir la nature, comme le silex et le coquillage, furent les lames et les cuillères.
La fourchette sera un peu plus tardive mais ces trois ustensiles s’imposent en Occident à partir de l’époque romaine note Pascal Reigniez. Dès lors, tant dans la préparation des aliments que dans sa conséquence logique, le plaisir de les manger, ce trio depuis l’Antiquité n’a jamais cessé d’être en usage.
Ces pages à travers le temps, les modes, les techniques et les lieux, retracent la longue trajectoire des couverts, ces compagnons du quotidien auxquels souvent peu d’attention est portée. Ils sont pourtant plus qu’indispensables, vitaux en quelque sorte, et sociaux.
Les différences sont grandes et les progrès notables entre la fourchette de Suse et son manche spiralé à décor terminal de tête de cheval datant du Vème siècle, une fourchette en verre du XVIIe et les fourchettes contemporaines en acier inoxydable. Ces évolutions de formes et donc de commodité et d’efficacité dont ces pages rendent compte montrent que les couverts sont également les vecteurs de l’évolution de la gastronomie.
L’auteur, doublant par-là l’intérêt du livre par le plaisir de le lire, renvoie son lecteur vers de nombreuses références culturelles, historiques et géographiques mais aussi artistiques. Il mentionne notamment un tableau peu connu exécuté vers 1590-1597 par Lucas van Valckenborch, né à Louvain et mort à Francfort-sur-le-Main, Le Banquet des monarques. On y voit près d’une vingtaine de hauts personnages, somptueusement habillés, assis autour d’une table magnifiquement dressée et partageant des confiseries et des pâtisseries qui semblent aussi délicieuses que raffinées. Des fourchettes en vermeil à trois dents sont visibles. Chardin, ce grand magicien, aimera dans plusieurs de ses douces et silencieuses natures mortes peindre des couteaux et des cuillères habilement placés au milieu des fruits et des pots. La couverture de ce livre se centre sur un détail du célèbre tableau de Jacob Jordaens, huile sur toile de 1640-1645, Le Roi boit, dans une de ses versions, celle du musée de Vienne, l’artiste aimant ce thème truculent et l’ayant repris par ailleurs.
Un autre point, souvent débattu, concerne ce que l’on peut appeler l’étiquette à observer et connaître lorsque l’on est à table, c’est à dire les règles de la bienséance, de la politesse en tant qu’invité ou hôte, les manières en somme qui facilitent et codifient les relations à la fois assurant le maintien et la cordialité qui doit prévaloir. Dans ce domaine, même si elles peuvent apparaître minimes voire secondaires, les manières et les coutumes pratiquées selon les pays sont révélatrices de tout un comportement social et au-delà, des héritages culturels transmis.
Comprendre ces legs revient à expliquer bien des traditions qui se rapportent à l’identité des peuples et à leurs pratiques alimentaires et que Pascal Reigniez analyse avec beaucoup de finesse et de pertinence. Tout près de nous, on note que ce qui se fait en Angleterre n’est pas ce qui se fait en France, le positionnement des couverts étant différent sinon opposé, une série de détails intervenant dans ce cérémonial, des armoiries sur les couverts à la qualité des nappes.
Enfin, le livre aborde l’importance des couverts dans les cuisines, à ces époques où le gibier était si souvent présent dans les repas, les sauces si diverses, les recettes si variées et adaptées aux contextes locaux. On peut citer à nouveau Brillat-Savarin qui avait constaté que la destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent…