Grasse, Le Lavandou,
Monte-Carlo, Villefranche sur Mer, Nice, Menton, autant de sites comme autant
d’étapes marquant des événements heureux - ou non - de son existence ! Le
Sud est un point cardinal dans le parcours esthétique de Jean Cocteau. Attiré
ou mieux aimanté par ces rivages qui annoncent ceux qui les prolongent plus
loin et qu’il aime, les rivages des légendes hellènes, Cocteau commence en 1932
à peindre sur les murs de la villa Blanche à Tamaris, puis cinq ans plus tard,
de la villa Kia Ora à Prasmouquier.
En 1950, l’auteur des Enfants terribles et de Phèdre,
ballet créé à l’Opéra le 14 juin de cette même année, entreprend la décoration
de la villa Santo-Sospir, demeure achetée par les Weisweiller en 1946. Il passe
son été « sur des échelles », dessine au fusain une première esquisse,
se lance, s’affronte à la verticalité, applique les couleurs, recouvre peu à
peu de fresques a tempera les parois
blanches. La tête d’Apollon irradiée de flammes, des pêcheurs le filet à
l’épaule, une licorne, des oursins, Judith et Holopherne, Diane et Actéon, peu
à peu puis partout s’imposent des traits qui serpentent, serrent les formes en
laissant partout de l’espace pour que les volumes respirent, s’affinent et
soudain à nouveau s’épaississent. Les murs sont habillés comme une peau - le mot
a son importance, Cocteau parlant de tatouages - que la main vêt et revêt de
teintes douces, de visages endormis, de soleil, d’ailes et de vagues.
Même démarche pour la
chapelle Saint-Pierre. Dans ce lieu oublié, en 1957, l’écrivain se fait à
nouveau artiste, s’inspire des textes sacrés, conjugue les scènes locales avec
les épisodes mystiques.En suivant les courbes de
la construction romane, il calcule ses perspectives, anime de dureté les
soldats romains qui brutalisent l’apôtre après son reniement, répartit le long
des arcatures et des piliers poissons et anges, étoiles et losanges, rend les
pierres vivantes en racontant des histoires simples et éternelles.
Autre « labyrinthe
de lignes », nouvelle géométrie composée maintenant pour la Salle des
mariages à la mairie de Menton. « Fidèle à mon impératif de poète métamorphosant
l’écriture en lignes, je me dictai ou crus me dicter des thèmes et m’acharnai à
organiser une fois encore les mystérieuses noces du conscient et de
l’inconscient ». Cocteau décrit son travail avec ce même soin dans le
choix des images que celui qui signe les écrits avec ses mots. Il parle de l’abstrait
uni au figuratif, de cet art grec qui apporte la nature quand il se joint à cet
art nègre qui nourrit l’imagination. Les mouvements des personnages sont
toujours amples et souples, les expressions évocatrices, les couleurs sont
affirmées, associant des ocres, des roses glissant au violet, des bleus de lavande alliés à des
verts émeraude. Il y a une lyre, des centaures, Orphée et Eurydice, « des
torchères rappelant la figue de barbarie et les aloès qui hérissent nos jardins
de trophées sauvages ».
Création encore au
Cap-d’Ail, amphithéâtre suspendu au-dessus de l’azur qui ourle la côte,
accroché à la roche, à mi-chemin entre les pins tordus et les nuages qui
dérivent lentement dans le ciel. Décor conçu pour célébrer les mythes, balcon façonné
pour écouter Œdipe et Antigone, gradins d’où admirer le jeu des acteurs masqués,
assister à un spectacle où les voix portent la présence retrouvée de la
mythologie, celle qui traverse comme un chant adressé aux dieux toutes ces
œuvres murales.
Encore et enfin, un dernier
site méditerranéen, Fréjus, où « je compte désormais arrêter ma roulotte ».
Jean Cocteau en 1962, bien que très fatigué, s’attelle à la décoration de la
chapelle Notre-Dame de Jérusalem, « un lieu où l’Antiquité vivait sa
jeunesse et savait fuir les tumultes ». Mosaïque bleue au sol blasonnée d’une croix
potencée rouge, peintures aux murs rehaussées de roses épanouies encadrant l’autel
rond en pierre, témoignage de la dernière Cène, garde d’un centurion, convocation
d’élus et de chevaliers du Saint-Sépulcre, Cocteau laisse son pinceau fêter une
foi qui semblerait naïve si elle n’était d’abord louange.
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La colonnade qui entoure
ce vaste carré comme une muraille ajourée épouse par ses torsions les ondes qui
viennent battre la baie. Inauguré en 2005, le musée Jean Cocteau à Menton
abrite la collection patiemment édifiée par Séverin Wunderman. L’architecte
Rudy Ricciotti a voulu que la lumière entre par ces découpes polies par son talent
comme peuvent l’être les galets par la mer. Plus de 2000 œuvres sont
rassemblées là, dont presque 1200 de Cocteau. La vie d’un perpétuel génie de la
création présentée et déroulée pour ses amis.
Commenté par Carole Weisweiller
qui a écrit plusieurs ouvrages remarqués sur Jean Cocteau, agrémenté par de belles
photos de Suzanne Held, ce livre relate une à une les phases de cette aventure sans
équivalent qui est celle d’un homme sans égal épris de beauté et de poésie.
Dominique Vergnon
Carole Weisweiller,
Suzanne Held, Jean Cocteau, les murs
tatoués, éditions Michel de Maule, collection Le Studiolo, novembre 2013,
23x28,5 cm, 163 pages, 45 euros.
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