Picasso et Éluard, une entente très cordiale

Amitié, complicité, connivences artistiques et politiques, estime et admiration réciproques, accords intellectuels, échanges simultanés, comment exprimer les liens qui pendant près de vingt ans ont relié l’écrivain et le peintre ?
Dessins contre poèmes, portraits et dédicaces, illustrations en face de mots, lettres, symboles et fantasmes, ils ont croisé leurs regards sur la vie, l’amour, la guerre, la paix, l’art, la politique, partageant leurs goûts, leurs savoirs et leurs visions. C’est bien ce « tendre miroir » tendu entre eux qui est cette fois tendu au lecteur de ce livre et au visiteur de cette exposition*.

Entre Picasso et Éluard naît, se déploie et s’approfondit tout au long de cette période marquée par de nombreux événements tour à tour heureux et tragiques ces renvois d’inspiration et ces retours d’échos créateurs dont les multiples preuves rassemblées ici rendent compte de l’authenticité. Que ce soit pour les expositions, les publications, les voyages, les conflits intimes, c’est une véritable et inaltérable affection qui a les a soudés. Tels deux compagnons durant la paix et deux camarades de combat pendant la guerre, ils composent à deux voix, l’un avec ses crayons et ses couleurs, l’autre avec ses termes et ses recueils, une œuvre complète devenue un ensemble unique sans doute dans l’histoire de l’art et de la littérature.
Une rencontre rare entre deux personnalités hors du commun qui a valeur de témoignage. C’était un enchantement que de les entendre raconter leurs souvenirs, discuter peinture et poésie notera Geneviève Laporte dans son ouvrage paru en 1973 sur le peintre (Si tard le soir, le soleil brille, Plon).

 

Que ce soient les poèmes d’Éluard et les portraits de celui-ci par Picasso, derrière les manifestations d’attachement bilatéral si on peut user de ce vocable, c’est une constante rivalité qui se note, ce mot pris dans un sens positif et non dans une notion de jalousie. Une rivalité constructive qui se veut à égalité d’audace artistique, une source d’émulation dynamique, d’inventivités réitérées et bondissantes, de ricochets imaginatifs, de signes en mouvements.
Chacun dans son registre, chacun selon ses rythmes de travail, ils avancent et créent et imaginent. Leur  compréhension et leur approche des faits sont voisines, se complètent, que cela touche aux sentiments ou aux engagements. L’entente est vivante, tous deux l’alimentent mutuellement. Éluard a été un grand collectionneur et Picasso qui confiait à un ami : Je suis un poète qui a mal tourné aura peint et dessiné avec la sensibilité d’un poète.  

On peut le voir avec ce rapprochement entre le célèbre tableau Guernica réalisé en 1937 et exposé à Paris lors de l'Exposition universelle et le poème Victoire de Guernica, comptant quatorze strophes qui dans la simplicité mais dans la puissance rendent hommage aux victimes du bombardement :

Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d'exemple


La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile  


Voilà une belle occasion de découvrir des documents inédits, des œuvres précieuses, des photos nouvelles, revoir la série des portraits de Paul Éluard par Picasso, exécutée le 6 octobre 1941, évoluant entre une facture classique et géométrique, traits fins qui façonnent le visage, en animent les yeux et les lèvres. De même, l’occasion de lire ces textes écrits dans une langue à la fois pure et libre, comme celui signé le 15 mai 1936, dédié à Picasso, merveilleux de douceur et d’espoir confiant

Bonne journée qui commença mélancolique
Noire sous les arbres verts
Mais qui soudain trempée d’aurore
M’entra dans le cœur par surprise.    


Brillante galerie d’acteurs et d’actrices qui défilent sur la scène autour des deux protagonistes de la pièce centrale, Dora Maar dont on voit de nombreux portraits, Nusch qui épousa Éluard en 1934 photographiée par Man Ray, auteur du film La Garoupe, Roland Penrose photographe et poète anglais, Lee Miller parmi d’autres. Après tout, les arts ne font qu’un estimait Picasso. Ce grand trait d’union fraternel entre les deux hommes le confirme.

 

Dominique Vergnon

Emmanuel Guigon (sous la direction de), Pablo Picasso, Paul Eluard, une amitié sublime, 210 x 270, illustrations, Fundació Museu Picasso de Barcelona (publié en français, espagnol et catalan), novembre 2002,  232 p.-, 39 euros

 

*   exposition reportée ; voir www.musee-saint-denis.fr

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