Lumières et couleurs du Rajasthan

Sur ce vaste territoire situé au nord-ouest de l’Inde vivent des fils de princes. Leurs traditions sont les héritières de celles de très anciens clans, transmises de lignages en lignages, qui selon les mythologies remontent au temps du soleil, de la lune et du feu. Parmi ses nombreuses curiosités, la capitale, Jaipur, abrite le célèbre Palais des vents, Hawa Mahal, du XVIIIème siècle. Une de ces merveilles d’architecture qui surprend par son équilibre et fascine par son audace. Sur ce pays des Rajput, l’histoire passe et laisse ses empreintes multiples, c’est à dire les guerres et les victoires, le  commerce de la soie et le goût des marchands qui édifient les riches haveli, la présence britannique, le grandiose fort d’Amber fondé au XIIème siècle couronnant telle une autre acropole la colline ocre, des pavillons de chasse aux bords des lacs. Selon le mot de Fernando Pessoa, Laure Vernière « voyage » comme chez elle dans cet univers singulier qui semble avoir mieux qu’aucun autre dans ce vaste continent qu’est l’Inde allier les cultures orientale et occidentale. Voyager pour elle, on le pressent, est aimer et percevoir, être curieux en oubliant de vouloir tout ou trop voir, «chercher une source » qui deviendra souvenir. Elle montre que les legs reçus des générations antérieures se confondent en fait moins qu’ils ne s’harmonisent, des miniatures mogholes aux céramiques anglaises Art déco en passant par cet ancien bas-relief du dieu Ganesha sculpté dans la pierre, les jalis ornementés des fenêtres percés à même le grès rouge et le lancer des poudres dans le parc Umaid Bhawan, lors de la fête de Holi. Car les dieux qu’honore cette foule immense dont parle Alexandre Kalda, qui lui aussi a beaucoup parcouru l’Inde, sont toujours des témoins du quotidien. Ils sont la dimension spirituelle et la mémoire éternelle de ce pays.

 

 

Les jours qui défilent au Rajasthan et dont la mémoire est restituée dans ces pages s’embellissent à la fois de détails et d’impressions grandioses. Les femmes en sari paraissent aussi séduisantes et vivantes que les peintures murales qui parent certaines demeures, cet homme penché sur sa machine à coudre Singer a autant d’allure que ce jeune vigile de la garde privée de Gaj Singh, le maharaja de Jodhpur, à la moustache de seigneur féodal, coiffé de son béret portant l’insigne aux armes de la famille, « le milan royal représentant la déesse ailée Durga qui apparut sous cette forme en de nombreuses occasions critiques pour secourir l’actuel Etat. La devise du Marwar (ancien nom de Jodhpur), est Rana Banka Rathore, ce qui signifie Rathores, galants au combat ». L’éventail ouvert des couleurs comme on n’en voit pas ailleurs est une des composantes autochtones de ces régions, âpres ici, humides ailleurs, comme les tons pastels sont ceux des intérieurs silencieux et des étoffes que le vent agite. Partout circule une lumière comme une poudre d’or, qui donne aux contrastes leur juste légitimité et leur volume, sans les exacerber, de manière à ce chaque chose acquiert pour l’œil qui s’attarde la vérité de sa densité. C’est ainsi que tout l’espace se dilate et prend son ampleur.

 

 

Dans son texte qui est comme une relation écrite avec la main de l’affection et de l'enthousiasme pour cette terre construite par des hommes qui gardent au-delà de la durée cette prestance faite à la fois de dignité et de simplicité, rencontrée dans l’humble maison comme dans les salons des palaces, l’auteur rend compte de l’air sec et chaud, de ses visites dans les villes, de ses rencontres dont on ne garde pas pour soi le secret, de l’accueil réservé par des amis, du cinéma le plus « bollywoodien » de l’Inde et évoque la richesse d’un passé côtoyé pas à pas. Les photographies sont somptueuses, à la hauteur des décors fastueux de ce « verger enchanté » façonnés par la nature et rehaussés par le génie des habitants. Elle invite en quelque sorte à ce qu’elle appelle joliment à visiter une « rêverie géographique, une terre promise imaginaire ». On regrette seulement que les légendes des photos, qui apparaissent sous les grosses lettres des citations, soient en si petits caractères et malaisées à raccorder aux pages des photographies elles-mêmes. Cette remarque n’amoindrit guère l’intérêt et la beauté de l’ouvrage.

 

 

Dominique Vergnon

 

 

Laure Vernière, Anne Garde, Rajasthan, le temps révélé, Assouline, 308 pages, 200 illustrations, 25,5x33 cm, octobre 2015, 78 euros.   

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