Cécile Guilbert la stupéfiante

A Cécile Guilbert serait accordé sans doute n'importe quel bon dieu avec ou sans confession. Néanmoins elle est pécheresse parmi les pêcheurs. Son prologue le prouve. Car pour écrire cette somme sur la drogue elle a donné de sa personne. Preuve que la "conseillère" a aussi été payeuse aux pays des délices.

Le corpus encyclopédique qui traverses le temps est divisé en quatre parties. A chaque psychotrope correspondent non seulement des effets mais des imaginaires différents. ; Euphorica (opium, morphine, héroïne), Phantastica (cannabis, plantes divinatoires, peyotl et mescaline, champignons hallucinogènes, LSD), Inebriantia (éther, solvants), Excitantia(cocaïne et crack, amphétamines, ecstasy, GHB). Pour chaque drogue, l'auteur propose une histoire médicale, culturelle puis une anthologie chronologique précédés de notices introductives.

De l’Inde et de ses Védas au monde modernes et sa mode de produits stimulants de synthèses, de la pharmacopée antique au Cannabis des Romantiques, de la Morphine à l'éther plus ou moins vague, Cécile Guilbert crée une histoires particulière de la littérature mondiale où se retrouve les plus grands noms de son histoire. Tous les genres sont représentés (poésie, fiction, théâtre, journaux intimes, essais, compte-rendus à la Baudelaire sur l'opium) mais aussi textes médicaux et anthropologiques… S'y inscrivent le risque et le jeu de la vie et de la littérature lorsqu'elles ignorent les frontières officielles en faisant abstraction - mais pas toujours - autant de la culpabilité que de l'innocence.

En outre Cécile Guilbert prouve l'originalité de certaines expériences comme l'addiction tragique et la toxicité d'autres. Les drogues permettent ainsi l'invention, elles sont parfois le dernier refuge à l'utopie et remplace aussi une idéologie obligée par celle des fossés défoncés. Elle fait parfois le plancher de l'estrade des dealers mais il arrive qu'elle dit l'heure de temps jugés irrecevables. D'autant que ceux qui la condamne souvent ne s'en privent pas. Mais plutôt que de deviser en des spéculations douteuses qui ont la vie dure, l'auteure est là pour dessiner d'autres frontières aux adjuvants de service.

 

Leur flèche empoisonnée, face aux grondements sourds des règles, prouve que leur prise n'est pas un simple loisir. Elle permet aux auteurs de mettre certains cauchemars et rêves en lumière, histoire de nous éviter de vivre dans le noir. Pour autant ce livre sans préjugés n'est pas une apologie. Mais peut-être deviendra-t-il une une institution en marge de la loi, là où les caractères individuels des écrivains, de leurs paradis et enfers sont strictement soumis à divers types d'indépendance. Le tout loin des dichotomies admises mais où néanmoins et au fil des modes s'instaure un jeu entre dissidence et appropriation, excentricité et uniformité.

Jean-Paul Gavard-Perret

Cécile Guilbert, Écrits stupéfiants. Drogues & littérature d'Homère à Will Self, coll. Bouquins, Robert Laffont, septembre, 2019, 32 €

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