Le visage de l’œil, la poésie selon Cees Nooteboom

Souvent cité pour le prix Nobel, Cees Nooteboom est plus connu pour ses essais ou ses romans, or la poésie l’habite également depuis… toujours. Et dès les années 1960 paraissent les premiers textes.

Pour la première fois, inédit en français, est regroupé l’essentiel de son œuvre poétique, habilement recomposé en partant des tout derniers (2012) jusqu’à cet « Appel de l’autre rive » (1956) dont le dernier vers, qui clôt alors l’ouvrage, laisse un drôle de goût sur la langue :

 

et si ton propre cœur te tuait de sa morsure ?

 

En six décennies, se seront onze recueils parus qui offrent ici une vue synthétique de tout ce qui « obnubile » Cees Nooteboom : l’image, le voyage, la fuite du temps, la mémoire – et ses effets –, l’histoire et bien entendu, la lecture & l’écriture. Les deux mamelles de tout homme de Lettres.

Avec, en guise de fil rouge ou de grains de sel, l’identité du moi et la réalité du monde, deux fardeaux qui pèsent sur les épaules de tout Atlas qui s’ignore… Mais il n’est pas candide ni pleutre au point de cacher sa réalité dans une « cuisine poétique, qui n’est en définitive qu’un détournement (la plupart des êtres humains sont naturellement débiles et ne peuvent s’abandonner à leurs instincts que dans la pénombre poétique). » (Georges Bataille, « Le gros orteil », Documents, n°6-novembre 1929, p. 302.) Ce retour à la réalité qu’il s’impose n’implique pourtant aucune acceptation nouvelle, cela sous-entend seulement une acceptation sans transposition. D’ailleurs, Nooteboom met les points sur les « i » dès l’entrée de Visage de l’œil :

 

Nous connaissons la poésie poétique les pièges pernicieux

De lunatique et roucoulades. C’est l’air embaumé,

A moins d’en faire des pierres qui luisent et font mal.

 

Le lecteur saura donc qu’il convient d’être prudent en tenant ce livre, de ces pages peut jaillir un diamant brut ou une volée de gravier, l’innocence n’est pas ici de mise. La distance s’impose, prise de hauteur et appréciation d’un style particulier, découverte de l’histoire du monde et de sa géographie. Parfois Cees Nooteboom évoque des connaissances de diverses disciplines dont le lecteur n’est pas obligatoirement informé ; près de 80 notes ont ainsi été ajoutées afin de clarifier la compréhension de certains passages.

Hommage à des pairs (Ungaretti, Shelley, etc.), des villes (Hambourg, Trinidad), des réflexions, des souhaits, des souvenirs... c’est toute une vie, un monde qui se déplie au fil des pages…

 

Qui nous ne sommes pas

qui nous sommes nous-mêmes.

 

Qui est au-dessus des mots

qui est dans les mots.

 

Qui est à côté de la pensée

qui est la pensée.

 

Qui pose la trace

sur le sable blanc

de la page ?

 

Qui l’expose ?

 

N’ont été retenu, dans cette anthologie, que la poésie versifiée ; les poèmes en prose ont fait l’objet d’une publication dès 1994 par Actes Sud sous le titre Autoportrait d’un autre.

 

François Xavier

 

Cees Nooteboom, Le visage de l’œil, traduit du néerlandais par Philippe Noble, Actes Sud, mars 2016, 346 p. – 24,00 euros

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