En fragrant délit: contresens des Podalydès Bros sur "le Parfum de la dame en noir" de Gaston Leroux

PARFUM EVENTÉ

Sortie en dvd du Parfum de la Dame en noir de Bruno Podalydès, et d’un coffret réunissant ce Parfum et Le Mystère de la chambre jaune. Mais le second chapitre ne vaut malheureusement pas le premier.

Le making of proposé comme bonus sur le dvd du Parfum de la Dame en noirs’ouvre sur des images du dernier jour de tournage du Mystère de la chambre jaune : le réalisateur Bruno Podalydès s’adresse à tous les membres de son équipe réunis pour la photo de famille et les prie d’avoir désormais deux mots, seulement deux mots en tête : « A suivre… » De fait, le public a aimé le Mystère, et le Parfum a suivi. L’affaire, il est vrai, aurait eu des airs de symphonie inachevée si elle s’était arrêtée avec le premier volet, puisque les deux premières aventures de Rouletabille avaient véritablement été conçues par Gaston Leroux comme un diptyque. 

Malheureusement, the Podalydès Brothers (car, comme on sait, c’est Denis qui interprète Rouletabille) semblent avoir estimé que, pour réussir leur suite, il suffisait de reprendre les recettes du premier film, et, ce faisant, ils ont commis un grave contresens.

Sentant bien que, quel que soit le génie de Gaston Leroux, il était difficile de transposer aujourd’hui ses œuvres avec une absolue fidélité, le genre du roman policier et du film policier n’étant plus tout à fait ce qu’il était il y a un siècle, Bruno Podalydès s’était astucieusement tiré de la difficulté en traitant le Mystère d’une manière légèrement ironique : le jeu des comédiens était un peu caricatural et la modernité de certains accessoires, parmi lesquels une voiture à énergie solaire, empruntait à l’esprit naïvement scientiste de Jules Verne.

Mais une telle approche ne marche pas, ne marche plus pour le Parfum, dans la mesure où ce Parfum est un retour aux sources mêmes de la tragédie. Un remake d’Œdipe roi. Rappelons, pour ceux qui l’auraient oublié, que, dans cette seconde aventure, Rouletabille doit retrouver et, au sens littéral du terme, tuer son père, et, sinon épouser sa mère, du moins arracher celle-ci à ce père rival.Est-il besoin de préciser qu’une pareille trame ne laisse guère de place pour des éléments comiques ? Interviewé dans le bonus, Denis Podalydès souligne lui-même le fait que Rouletabille, qui, dans le Mystère, n’était pas loin de tirer toutes les ficelles, sent ici que la situation lui échappe et doit laisser toute la vis comica aux autres personnages. Mais, même après cette « redistribution », le comique est ici incongru, car le tragique ne supporte pas le mélange des genres. Pour une raison bien simple : la frontière est si mince entre le comique et le tragique — la structure est exactement la même, et seule diffère l’issue, à savoir la mort — qu’elle ne saurait admettre la présence de zones intermédiaires. 

Or, non content de  multiplier les intermèdes amusants et parfois franchement farcesques (voir, par exemple, ce périscope qui se met à gigoter parce qu’il est tenu  par un personnage en proie à une envie pressante), le film est tout entier construit sur une substitution d’identité absolument invraisemblable. On veut bien admettre que Jean Marais puisse se déguiser en De Funès dans la série des Fantômas ou que les bons et les méchants de Mission impossiblepuissent se voler mutuellement leurs visages et leurs voix : ces mises en abyme sont conçues pour faire rire. Mais à qui va-t-on faire croire, même avec un prologue en forme d’hommage à l’illusionniste Robert Houdin et à Georges Méliès, que le méchant Larsan puisse se substituer plusieurs jours durant à un personnage sans que personne ne remarque que sa barbe est fausse et que tout son visage n’est qu’un masque ? 

La seule idée originale du film concerne la Dame en noir elle-même : il semble bien finalement que cette victime était dès le départ très consentante et se moquait éperdument qu’un innocent pût être sacrifié à son bonheur. Cela n’est pas sans rappeler la version d’Œdipe concoctée par Gide, dans laquelle il mettait en scène une Jocaste expliquant à son mari de fils qu’il serait sans doute plus simple de ne rien révéler aux autres et de maintenir les choses « en l’état ». Mais de telles audaces sont des audaces de bourgeois, qui sonnent aussi faux que les innombrables plans tournés en « nuit américaine ». Non, vraiment, ce n’est pas le parfum de la Dame en noir : c’est au mieux celui de la Dame de chez Maxim.

FAL

Gaston Leroux, Le Parfum de la dame en noir, adapté au cinéma par Bruno Podalydès, avec Denis Podalèdes, Sabine Azema, Pierre Arditi..; DVD mars 2006

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