Prémonitoire "Le ruban blanc" de Michael Haneke ?

La palme d’or du Festival de Cannes 2009 a fait couler beaucoup d’encre et permis aux démagogues de s’en donner à cœur joie, notamment dans une tentative ridicule d’expliquer la montée du nazisme sur fond de rigueur protestante. Il est vrai qu’enfoncer des portes ouvertes est bien plus facile que d’investir un sujet aussi complexe que la déviance nazie, comme a pu le faire Serge André dans Le sens de l’Holocauste - Jouissance et sacrifice, livre qui lui coûta la vie...


Ce qui ébranla les critiques à la vision de ce film extraordinaire, c’est la peinture d’une époque qui semblait porter en elle un tel code de conduite que, fatalement, cela ne pouvait que déboucher sur le fanatisme. Mais c’est ignorer, entre autres choses, que le nazisme était à la recherche d’une obscure Providence, sorte de dieu païen protecteur du Reich des mille ans à venir. Un fantasme d’absolu si loin des us et coutumes d’une bourgade rurale... Car, que voyons-nous dans ce film ? Que lisons-nous dans ce scénario ? Une chronique sociale qui se déroule dans un petit village du nord de l’Allemagne à la veille de la Première guerre mondiale. Une communauté protestante qui vit paisiblement et qui se prépare pour les moissons quand surviennent un puis plusieurs incidents qui pourraient laisser deviner un embryon de révolte. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une scène poignante : un cheval galopant vers l’écurie s’écroule soudainement, fauché par un câble invisible, et son cavalier valdingue dans les fourrés. Il est gravement blessé ; cela tombe mal, c’est le médecin du village...




Aussitôt l’instituteur se charge de mener l’enquête, bien vite reprise en mains par la police du canton. Le narrateur, en voix off, permet à Haneke de positionner sa caméra en hauteur et d’observer ainsi les mœurs en nous faisant découvrir l’extrême misogynie des hommes tout puissants et la manière dont les enfants sont rabroués. Ces derniers ne trouvant un exutoire que dans la pratique de la torture sur les petits animaux, fascinés qu’ils sont par la mort... 
Filmées dans une lumière toute sacrale qu’un noir et blanc somptueux accentue, les scènes vrillent l’estomac du spectateur qui pénètre les arcanes de cette société caricaturale uniquement axée sur l’ordre et les Ecritures. Aucune tolérance n’est admise, l’idée même d’amour semble n’avoir jamais été évoquée. Quant au désir charnel, toléré dans le cadre des obligations reproductrices, il s’égare parfois vers les chemins boueux de la pédophilie... 
Doit-on pour autant y voir les origines du fascisme ?




Ce qui est certain c’est que ce film ne laisse en rien indifférent : fascinant et dérangeant, il hypnotise et ouvre une série de questions dont nous n’avons pas toutes les réponses. Techniquement parfait, jouant de l’ellipse et du suggéré dans un noir et blanc intemporel, osant les non-dits et imposant un suspens haletant, il vous retournera comme un gant. Ne plus être le même après le visionnage d’un film démontre combien il a son importance... Raison première pour ne pas l’oublier et puiser en lui les questionnements indispensables pour que tous les hommes puissent trouver leur place au sein de la société... Un beau challenge par les temps qui courent...


François Xavier


Michael Haneke, Le ruban blanc, traduit de l’allemand par Bernard Mangiante, DVD inclus (zone 2), Actes Sud, avril 2011, 145 p. - 26,00 €

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