Vincent Lindon, tel qu’en lui-même dans "Quelques heures de printemps"

Il fut un temps, assez lointain je le reconnais, où Vincent Lindon et moi nous nous tutoyions. Il avait même insisté pour que je sois présent à un dîner pour son anniversaire et nous disputâmes, ailleurs, une course de karts. Et puis, nos relations se sont distendues. J’ai probablement dû faire ou dire (ou les deux !) une connerie. A moins que ce ne soient les rôles qui déteignent sur l’acteur. Elle est loin l’époque de Paparazzi et de Belle-maman. Il s’est engagé dans des personnages durs, puissants et, souvent, perturbés. Sa carrière est devenue une succession de combats. 

Aujourd’hui, donc, nous entretenons des relations courtoises et professionnelles, ce qui n’est pas plus mal. M. Lindon n’a pas perdu sa volonté de convaincre. Le rencontrer c’est affronter une force brute qui vous explique son point de vue sans faux fuyant et vous assène ses vérités en homme qui en a beaucoup vu. 

"J’ai 53 ans, tout va bien", affirme-t-il.

On aurait envie de le croire. Mais il affirme dans les minutes qui suivent :

"Je crois que ce film me met en colère. Je suis en colère qu’il n’y ait pas plus de gens en colère !"

L’interviewer c’est manipuler une grenade dégoupillée qui peut vous exploser à la figure à tout moment. Ne jamais oublier que Vincent Lindon est un écorché vif. Il souffre tellement qu’il songe à arrêter ce métier. Encore quelques années, quelques films et, à l’approche de la soixantaine, il raccrochera les gants pour suivre une autre voie, moins cahoteuse. 

"Ma vraie vie c’est autour d’un barbecue avec mes amis."

Ce ne sont pas seulement ses rôles qui le blessent mais aussi les interviews qui l’ennuient, et le mot est faible, de plus en plus. 

"J’aimerais trouver un moyen pour que les gens connaissent le film sans que les acteurs soient obligés d’en parler."

Il met d’ailleurs les choses au point d’entrée :

"Ce qui m’intéresse c’est de parler du film et de rien d’autre. Je veux parler de l’amour, de la communication, de la solitude et de la mort car c’est tout cela qui m’a bouleversé en faisant ce film. J’essaie de faire des films qui parlent de nos contemporains mais ne me demandez pas d’expliquer ma façon de travailler. Je suis un acteur qui agit inconsciemment et je n’ai pas envie de me saouler moi-même avec des explications inutiles."

Parlons donc de Quelques heures de printemps. Quoique, selon son acteur principal, la tache soit aussi vaine qu’inutile.

"Ce film se passe de commentaires. Pour la première fois, je voudrais que les gens l’aient vu sans qu’on ait besoin d’en parler. Je comprends que certaines personnes aient du mal à aller voir un film aussi dur, qu’elles préfèrent des choses qui ne demandent pas autant de concentration. Mais je suis persuadé qu’en sortant de ce film, elles se sentiront meilleures avec, en plus, de l’espoir. Ça parle de quelque chose d’important."

Vincent Lindon y incarne un homme qui, fraichement sorti de prison, se retrouve face à sa mère avec qui il ne parvient pas à communiquer. Elle est malade, elle est butée. Il va devoir apprendre à vivre avec elle, malgré elle, et à la mener jusqu’à une mort qu’elle a elle-même choisie.

"Cette femme parle mal à son fils, elle a des manies et elle est chiante ! Leur mode de communication s’apparente à celui du bourreau et de la victime. Mais, à un moment, le temps va leur être compté."

Le grand sujet est, donc, la non-communication. Les silences et les non-dits, les rancœurs et les souvenirs qui traînent aux tréfonds de chacun. 

"On passe à côté de plein de choses à force de ne pas exprimer ses sentiments. Le nombre de fois où on devrait frapper à la porte de la chambre pour s’excuser… On gagnerait cinq jours. Cinq jours de silence mais aussi de douleurs accumulées. On ne communique pas assez, on ne se dit rien, aussi bien au niveau des reproches que des compliments. Il y a trop de gens qui se loupent. Que ce soit dans un couple ou dans n’importe quelle relation, ce serait formidable qu’on puisse se dire plus. Les gens se ratent et ces deux-là, dans le film, me font une peine terrible."

Cela peut paraitre contradictoire d’évoquer le manque de communication dans un siècle où la communication est partout, du téléphone qui traîne dans sa poche à la télévision qui envahit le salon. 

"Oui, nous sommes harcelés par des textos, des émails, des facebook. 'M’accepteras-tu comme ami ?' Quelle connerie ! Ce serait plus simple de dire : 'On ne se connait pas encore, est-ce que tu acceptes qu’on se parle ?' On envoie des textos à quelqu’un qui vient de perdre sa mère : 'J’ai appris pour ta maman. Sincèrement désolé'. De la même manière qu’on envoie un texto pour dire 'Je vais avoir dix minutes de retard'. Et ce genre de textos émane d’amis de plus de vingt ans ! C’est ça la communication ?"

© Diaphana Distribution


Vincent Lindon est prêt à s’emporter. Contre ces gens qui ne se parlent plus que par écrans interposés, contre ce monde qui va trop vite, contre ces comportements qui l’indignent. Une âme de justicier en colère.

"J’aurais dû vivre dans la forêt de Sherwood ! Je ne supporte pas que quelqu’un parle mal à un serveur. Ça me donne envie de prendre mon arc. Sur le tournage, nous étions dans une rue. Un assistant bloquait les passants. Un monsieur s’est présenté avec son chien : 'J’en ai rien à foutre de votre cinéma, je veux rentrer chez moi' Quel besoin avait-il de parler mal à cet assistant ? J’avais envie de le prendre par les cheveux pour lui faire comprendre qu’on n’a pas le droit de parler comme ça."

Ça y est, il s’emporte. La grenade explose. Mais une explosion dont la première victime n’est autre que Vincent Lindon.

"Je suis incapable de faire les choses à moitié. J’ai en moi l’énergie du désespoir, cette énergie qui peut vous emmener plus loin que la Lune."

Une énergie qui, donc, va le pousser à mettre un trait sur ce métier qui est le sien depuis plus de trente ans et grâce auquel il a vécu des expériences marquantes et offert des rôles forts. 

"Il faut des nerfs d’acier pour vivre avant 'Moteur !' et après 'Coupez !' Il est difficile de ne pas craquer."

Un jour, prochain tout s’arrêtera. Enfin tout ce monde fait de personnages de fiction et de rencontres de frictions. 

"Ça va me faire un bien fou d’arrêter les interviews."

S’ouvrira alors pour Vincent Lindon une porte vers de nouvelles expériences dont il n’aura pas à parler à la presse ni à étaler au grand jour.

"L’être humain est comme une carte blanche. On y met du pique, du carreau, du trèfle et un peu de cœur.", conclut-il.

Pour l’heure il reste Quelques heures de printemps avec un Vincent Lindon plus taiseux que jamais face à une Hélène Vincent en mère plus pathétique que méchante. Un film d’automne qui rappelle que les printemps sont fanés. 

Voilà Vincent Lindon. Un temps j’avais envisagé d’intituler cet article "Lindon tête de l’art" mais cela serait inapproprié. 

"Vous allez encore écrire : 'Vincent Lindon, l’énervé', 'Vincent Lindon fait son numéro', croit-il ; tout ça c’est n’importe quoi."
Qu’écrire alors ? J’ai opté pour "Vincent Lindon tel qu’en lui-même".
 
Un Lindon qui a biffé de son vocabulaire le mot "humour" et c’est bien dommage. Pour lui comme pour nous.

Philippe Durant

QUELQUES HEURES DE PRINTEMPS
un film de Stéphane Brizzé
Avec Vincent Lindon, Hélène Vincent, Emmanuelle Seigner
1h48
Sortie le 19 septembre

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