Danielle Darrieux : la centenaire du cinéma français

Dans les années 70, les Américains lancèrent une collection The Films of (reprise en France par les éditions Henry Veyrier). Il s’agissait de présenter en détails chaque film d’une star ou, tout au moins, d’une vedette. Ce livre consacré à Danielle Darrieux suit le même principe, en plus fouillé, détaillant presque tous les films de cette légendaire actrice. Plus une étude filmographique qu’une biographie, donc.

Darrieux est une légende. Toujours vivante de surcroît. Elle entama sa carrière très tôt et s’imposa très vite. Jusqu’à devenir, un temps durant, la star féminine française n°1. Elle fut convoitée par Hollywood mais son expérience outre-Atlantique tourna court. Bizarrement, alors qu’elle joua dans des classiques (et pas seulement Les Demoiselles de Rochefort !), alors qu’elle est considérée comme une actrice de qualité à l’aise dans tous les registres, peu de livres la concernant sont parus. Contrairement à ses consœurs Michèle Morgan et Micheline Presle, Danielle n’a jamais eu l’envie de coucher ses souvenirs sur le papier et s’est contenté de commenter, du bout des livres, certains de ses films dans un ouvrage illustré paru en 1995 chez Ramsay. Il y a donc à faire et à dire sur elle.

Tâche accomplie par Clara Laurent, parti en quête d’une abondante documentation, fouinant jusque dans les recoins de France Dimanche (on est loin des Cahiers du cinéma… également utilisés). L’auteure suit deux voies qui se chevauchent : les films de Danielle Darrieux et la place de la femme dans le cinéma des années 30 à nos jours. Car l’ouvrage se veut ouvertement féministe. Ce n’est pas un hasard si Cla ra Laurent, nous apprend-on, a déjà écrit sur les femmes et le pouvoir. Au passage elle nous assène quelques leçons d’histoire, portant sur la Seconde Guerre Mondiale ou sur « la condition des femmes dans les années 50 », entre autres. Danielle Darrieux porte-étendard de la féminisation ? Pourquoi pas ? Quoiqu’elle ne se soit jamais montrée très batailleuse sur ce sujet. La discrétion est de mise chez Mlle Darrieux.

L’essentiel de cet épais livre porte, on l’a dit, sur les films. Les films rien que les films (plus d’une centaine !). Quelques pièces de théâtre et téléfilms sont également évoqués mais non dans leur totalité. Films donc ! Résumés complets suivis de simili-analyses non moins complètes. Avec les critiques d’époque et, de temps en temps, le box-office. Foin d’anecdotes (ou très peu). Du travail académique, pour ne pas dire universitaire. Bien fait, clair, efficace. Ces films sont classés par périodes puis, à l’intérieur de ce cadre, par thèmes. Une manière de mieux comprendre le parcours de Darrieux mais aussi la diversité de son talent.

La vie privée est légèrement abordée. Par les relations officielles et connues de Danielle. Son mariage avec le cinéaste Henri Decoin, bien sûr, que d’aucuns considèrent comme son Pygmalion. Disons plus sobrement qu’il lui permit de brûler les étapes. Mais ne sont pas évoquées ses amitiés (avec Lino Ventura notamment).

Est traité aussi le fameux voyage à Berlin. Qui fit scandale. En pleine guerre, Darrieux et quelques célébrités du cinéma français, allèrent rendre une visite très médiatisée à l’Allemagne nazie. On a connu choix plus judicieux. Danielle a confié les raisons de ce voyage ; purement sentimentales. À ce sujet me revient une anecdote que je crois authentique. Un soir l’acteur Philippe Khorsand se retrouve dans le même hôtel que Darrieux. Tous deux devaient être en tournée théâtrale mais ne travaillaient pas ensemble. Khorsand était connu pour aimer les boissons fortes. Fin saoul, dès qu’il vit arriver Danielle dans le hall de l’hôtel il se mit au garde à vous et entonna Maréchal nous voilà… Inutile de préciser que l’actrice apprécia peu. Tout ceci pour dire que ce voyage à Berlin reste la seule tâche dans une carrière quasi-exemplaire.

Ce livre fait plus qu’un tour d’horizon, il détaille par le menu une vie d’actrice. N’évitant pas quelques redites (les références biographiques de Dominique Delouche, l’origine du titre du film Divine, « l’opposition » entre Darrieux et Presle…) mais rien de véritablement gênant. On frôle l’exégèse.

Un ouvrage solide sur une comédienne qui vient de fêter ses cent ans et qui restera une référence par son naturel, sa subtilité et sa longévité !

À noter que ce livre est « soutenu » par deux témoignages de Catherine Deneuve et Patrick Bruel… qui n’apportent rien.

Philippe Durant

Clara Laurent, Danielle Darrieux, une femme moderne, Hors-Collection, avril 2017, 443 pages, 19 €

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