"Juliette Binoche, instants de grâce" par Frédéric Quinonero

Il y a quelques semaines, à l’occasion de la sortie de A cœur ouvert, j’ai eu l’occasion de revoir Juliette Binoche. J’avais oublié à quel point elle aime rire. Elle rit de tout, d’un rire franc jamais fabriqué, n’hésitant pas à se moquer d’elle-même et de ses travers professionnels. Elle rit tellement qu’elle en ferait presque oublié qu’elle est l’une des actrices les plus récompensées de son époque, réclamée par les cinéastes du monde entier. Oscarisée, césarisée, "cannéisée", elle n’a plus rien à prouver depuis longtemps, c’est-à-dire depuis Rendez-vous qui, en 1985, la révéla.

Il était temps qu’un livre lui fut consacré. Frédéric Quinonero s’efforce de combler ce vide.

D’emblée, une constatation : Binoche a tourné ce que d’aucuns considèrent comme des grands films mais a peu rencontré les faveurs du public. Eternelle, et logique, contradiction du cinéma. Quinonero ne peut que l’admettre : "Reconnaissons-le, le grand public se désintéresse depuis quelque temps de Juliette Binoche. Tout au moins des films qu’elle lui propose. Trop hermétiques, trop obscurs." Même lorsqu’elle sort de l’obscurité avec la récente comédie romantique La vie d’une autre, elle n’attire pas les foules (371.000 entrées France). 

Personnellement, j’avoue ne pas être un inconditionnel de sa filmographie et j’évite, le plus souvent possible, de me fourvoyer à la projection de certaines de ses prestations. Ce qui ne m'empêche pas, heureusement, de saluer bas ses talents de comédienne.

Quitte à parler de box-office, le nerf d’une certaine guerre, je corrige une demi vérité (page 110 du livre susdit) : oui, avec 2,5 millions de spectateurs, Le Hussard sur le toit reste, à ce jour, le plus gros succès en France de Juliette, non ce ne fut pas « le triomphe attendu » et, compte tenu du coût du film, ce fut même considéré comme un échec financier. Ce que le réalisateur, Jean-Paul Rappeneau, finit par reconnaitre, constatant, un peu tard, que Jean Giono est nettement moins lu que Marcel Pagnol !

Voici donc une biographie qui raconte point par point la carrière de Juliette Binoche. On sent bien que l’auteur préfère certains films à d’autres (voir comment il expédie Décalage horaire) mais cela n’est guère important. Ce qui compte c’est que Juliette soit présente à travers de nombreux extraits d’interviews. Contrebalancés par de trop nombreux extraits de critiques, issus de l’intelligentsia (ou considérés comme tels) enfoncés là pour surligner, inutilement, les qualités de l’actrice.

Au fil des pages, on voit donc grandir Juliette, fille d’artiste qui se destinait à la peinture. On la suit également dans ses engagements politiques et citoyens (elle reversa l’intégralité de son cachet pour
une publicité Lancôme à une œuvre caritative en faveur des enfants défavorisés) ; on l’accompagne, très brièvement, dans sa vie amoureuse et, plus longuement, dans sa vie de mère.

Le plus intéressant, à mon goût, n’est pas tant les films que Binoche a tourné (et que peu de gens ont dû voir dans sa totalité !) mais ceux qu’elle a refusés ou que, pour diverses raisons, elle ne put faire. Voilà une femme qui a dit non plusieurs fois à Steven Spielberg, tout de même. Tant il est vrai qu’une carrière se construit sur des choix c’est-à-dire autant sur des accords que sur des refus.

Ce livre constitue ce qu’il convient d’appeler une biographie linéaire, solidement documentée qui, assurément, permet de mieux de connaître cette désormais grande dame qu’est Juliette Binoche. Un ouvrage qui donne envie de revoir Le patient anglais, son film phare ô combien émouvant.

Mon côté cancre ne résiste pas au plaisir de citer la fameuse saillie de Gérard Depardieu que Frédéric Quinonero ne fait qu’évoquer (se contentant de parler d’une "indélicatesse à l’égard de l’actrice qui ne mérite point d’être développée"). Ce brave Gégé a donc déclaré : "Juliette Binoche n'a rien, absolument rien. J'aimerais bien savoir pourquoi on l'estime depuis toutes ces années. Elle n'est rien. En comparaison, Isabelle Adjani, elle est super, même si elle est complètement perdue. Ou bien Fanny Ardant : elle est grandiose, extrêmement impressionnante. Mais Binoche ?" Je peux d’autant plus citer cette raillerie que, en ayant parlé récemment avec Juliette, elle ne lui en tient pas rigueur, affirmant que tout cela c’est du passé. Elle en a ri, même. Un rire qui fait du bien et qui mériterait d’être mieux utilisé par les réalisateurs de tout poil.

Philippe Durant 

Frédéric Quinonero, Juliette Binoche, instants de grâce, Editions Grimal, 237 pages, décembre 2011, 22 euros

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