"Pierre Schoendorffer", le cinéma et la mémoire d'une nation

Dans le cinéma français, les films de Pierre Schoendorffer ont toujours détonné. Le Crabe-Tambour ou l’Honneur d’un capitaine tranchent sur les canons du film de guerre de l’époque. Peu de reconstitutions, refus du spectaculaire, peu d’effets stylistiques. La clef est peut-être dans une rencontre a priori surprenante : Howard Hawks, qui cherchait à faire un film se passant en Asie dans les années 60, proposa à Schoendorffer un poste de coréalisateur. Ce dernier, grand amateur de Hawks, le rencontra. Si le projet ne se concrétisa pas, que Hawks ait été intéressé par une collaboration avec Schoendorffer tient peut-être au fait que les deux cinéastes filment à hauteur d’homme, refusant de condamner ou d’attaquer leurs personnages. Si Bénédicte Chéron ne mentionne pas de cette anecdote, elle s’attache en tout cas à retranscrire toute la singularité du personnage et de son parcours.

 

Un auteur singulier

 

D’origine alsacienne, Pierre Schoendorffer, marqué par la défaite de 1940, passionné de cinéma, choisit de s’engager dans la marine marchande puis dans l’armée. C’est là qu’il fait son apprentissage de cinéma en tournant ses premiers documentaires. Par la suite, Schoendorffer prendra part à la bataille de Dien Bien Phu et sera fait prisonnier. Après son retour de captivité - expérience traumatisante qui le marquera -, il commence sa carrière.

 

Par son parcours atypique, notre auteur peut être qualifié d’OVNI. Rappelons que dans les années cinquante, le métier d’assistant est le meilleur moyen d’accéder au statut de réalisateur ; d’autres débuteront bientôt par le biais de la critique de cinéma (quand Schoendorffer est en Indochine, les Cahiers du cinéma publient les premiers articles de Truffaut et Godard à la gloire du cinéma d’auteur. Première singularité : Schoendorffer débute lui au service cinématographique des armées.

 

Autre particularité : le lien avec la génération des combattants d’Indochine et d’Algérie, dont certains deviendront des soldats perdus, est aussi éclairant. Schoendorffer, par les sujets qu’il traitait, a choisi de raconter les passions et les itinéraires de ces hommes, engagés sur la voie sans issue des conflits coloniaux (la figure du capitaine Guillaume par exemple inspire le Crabe-Tambour). On aurait tort pourtant de réduire le cinéaste à un « fana-mili » ou à un nostalgique de l’OAS, même s’il construit ses fictions et son lien avec le public en les mettant en scène. L’ambition de Pierre Schoendorffer n’est pas de faire des films à thèse mais de peindre la complexité de l’époque et des choix opérés par certains.

 

 

Schoendorffer et la mémoire nationale

 

L’originalité de Bénédicte Chéron est de déduire que le succès du cinéaste et l’impact de ses films (via les sorties en salle puis les multiples passages en télévision) est lié en partie à l’oubli dans lequel ces guerres coloniales et leurs protagonistes étaient plongés. De plus Schoendorffer s’élevait contre une lecture partiale de ces évènements, par exemple sur la torture, qui oblitérerait la compréhension de ces évènements : c’est tout la complexité du film « l’Honneur d’un capitaine », film riche, contradictoire et fascinant. En un sens, il fit acte de mémoire, à un moment d’amnésie collective devant les guerres coloniales (rappelons-nous que le conflit algérien fut qualifié de guerre pour la première fois par les pouvoir publics, par la voix de Lionel Jospin, en 1999).

 

L’ouvrage de Bénédicte Chéron, loin de l’analyse filmique chère aux cinéphiles et aux universitaires, invite en tout cas à une chose : revoir ces films.

 

Sylvain Bonnet

 

Bénédicte Chéron, « Pierre Schoendorffer », CRNS éditions, Février 2012, pages, 25 €

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