« Ce qui
m’intéresse dans une situation romanesque, c’est son ombre ou celle qu’elle
projette sur les êtres alentour ». Ces mots, Marguerite Duras les prononce
en 1959. Elle a 45 ans, elle a publié en 1943 Les Impudents sous le nom qui va la rendre célèbre. La part d’ombre,
par antithèse, dégage celle de lumière. A elles deux, elles accentuent la
sincérité de l’engagement dans les combats, creusent l’obscurité des compromissions
et des abandons, mettent à jour les inimitiés et les fidélités. Ces parts rayonnent
encore, atteignent les proches, puis par cercles élargis les autres jusqu’aux
plus lointains, qu’ils soient amis, alliés, compagnons, victimes et complices
des aventures, au-delà encore, rencontrent les lecteurs, tissent un vaste
réseau d’admirateurs et de détracteurs.
Traversant cette longue
route de contrastes, servant à reconstruire un à un les jours autant abimés que
sublimés, à recomposer dans son ensemble une existence que le destin n’épargne
pas mais sculpte aussi pour la postérité, il y a une passion, un besoin, une obsession :
écrire, « ce jeu insensé d’écrire » disait Mallarmé, mais comme le
souligne l’auteur de cet album, qui « ne la retranche pas des désordres de
sa vie ». Marguerite Duras était naturellement, viscéralement, un
écrivain. Des lauriers de la reconnaissance universelle aux démons auxquels
elle succombe, Marguerite Duras a franchi toutes les étapes d’un parcours aussi
public que solitaire. « On pouvait se brouiller avec elle, on ne pouvait
pas l’oubliait » a dit d’elle Jean Vallier qui l’a bien connue. Jusqu’à la
fin, « elle éperonne la vie qui s’immobilise ».
Dans ce format bien connu
des livres la Pléiade qui épouse aisément les mains, décoré de ces rayures
dorées que l’on repère d’emblée dans une bibliothèque, cet album ne comporte
pas moins de 208 illustrations signalant, comme un compas avec ses deux pointes
balise un trajet en haute mer, l’odyssée de celle qui reçut en 1984 le Prix
Goncourt pour son roman L’Amant. Ces
illustrations sont à la fois des photos d’elle bien sûr, d’acteurs qu’elle a
dirigés, de relations, mais aussi des reproductions de manuscrits, d’affiches
et de revues, de couvertures de livres, de lettres (comme celle de Gaston
Gallimard qui lui adresse le 8 novembre 1957 une lettre dans laquelle il
précise qu’il attend « tous vos prochains livres » - elle avait en
effet publié Moderato Cantabile aux
Editions de Minuit), ou encore de sa table de travail au Roches-Noires. Un
index reprend les noms des personnes et des lieux cités dans l’ouvrage, autre
avantage permettant de suivre et dénouer l’immense chaîne qui s’est serrée
autour d’elle. « Dans son univers
labyrinthique, certains se perdent, d’autres se trouvent ou se retrouvent ».
Ceux qui aiment ou
simplement apprécient Marguerite Duras, qui veulent mieux connaître celle qui a
longtemps régné sur la littérature, le théâtre et le cinéma en France, auront
plaisir à avoir ce livre pour découvrir d’autres facettes, revoir leurs appréciations,
élargir la compréhension qu’ils en ont, savoir pourquoi elle « a vécu le
réel comme un mythe ». Ceux qui ne connaissent et ont envie justement de
connaître, pourquoi pas passer le cap de l’ignorance ou de la
prévention, afin de confirmer ou informer un jugement? Un album qui sert de guide
et fait entrer dans le monde complexe de Marguerite Duras comme dans la
« famille » qui l’entourait, qui incite à lire ou relire son œuvre,
en partie ou complètement.
Dominique Vergnon
Christiane Blot-Labarrère, Album Marguerite Duras,256 pages, 208 ill., 10,5
x 17 cm, Gallimard, mars 2014, (offert pour l'achat de trois volumes de la
collection de la Pléiade)
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