Dictionnaires chic de littérature française et étrangère

Traitements de Chic

 

Contrairement aux apparences, le Dictionnaire chic de littérature française de Christian Authier et le Dictionnaire chic de littérature étrangère d’Éric Neuhoff ne dansent absolument pas cheek to cheek.

 

Même éditeur, même collection, même présentation, même date de sortie, titres parfaitement similaires. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le Dictionnaire chic de littérature française de Christian Authier et le Dictionnaire chic de littérature étrangère d’Éric Neuhoff sont peut-être jumeaux, mais ce sont de faux jumeaux, tant ils diffèrent par leur conception et par leur esprit.


Les lecteurs assidus du Figaro peuvent se dispenser d’acheter le Neuhoff. Ils l’ont déjà lu. Pour les autres, la chose se discute. Car le Dictionnaire chic de littérature étrangère n’est que le recueil de chroniques littéraires parues au fil des ans et classées — comme il convient pour un ouvrage qui se dit dictionnaire — par ordre alphabétique (ordre alphabétique des auteurs traités). Ce principe de « collation », en soi, n’a rien de condamnable. Il a même donné lieu à des chefs-d’œuvre, par exemple les Écrits sur l’art de Baudelaire ou Actes et paroles de Hugo. Mais on chercherait en vain chez Neuhoff une dynamique, étant donné le style qu’il s’est forgé et qui, certes, le rend immédiatement reconnaissable. Neuhoff est très économe des connecteurs logiques : fi chez lui des parce que, quoique ou alors que. Et pour cause : il ne critique pas les livres, il les raconte, avec des phrases le plus souvent réduites à la succession sujet-verbe-complément, sans même qu’une inversion yodesque pimenter la chose vienne. La démarche critique est à trouver dans son ton détaché et dans des « secondes phrases » qui viennent transformer en loi la constatation énoncée objectivement dans une première phrase : « Le silence s’installe. Il y a des souvenirs qu’on ne partage pas. » écrit-il par exemple à propos du roman de William March Compagnie K. Ou, à propos du Dernier des Wenfeldt de Martin Suter : « Au matin, la fille qu’Adrian avait ramenée cette nuit essaie de sauter par le balcon. Comme réveil, on fait mieux. » Distillé d’une semaine sur l’autre, ce style, écho direct de la voix gouailleuse de son auteur quand on l’entend au Masque et la plume, fait merveille dans les pages du Fig ou de Madame Fig, ne serait-ce que parce qu’il tranche avec celui, beaucoup plus conventionnel, de ses petits camarades dans les colonnes voisines, mais il devient vite imbuvable quand il se déverse sur quatre cents pages. Généreux et diplomate, Christian Authier, qui consacre un article à Neuhoff dans son Dictionnaire chic de littérature française, voit ces phrases comme autant de bombes à fragmentation. Mais cette fragmentation perpétuelle ne produit en définitive qu’une espèce de grand magma. On a l’impression que Neuhoff parle toujours de la même chose ou d’un même auteur (lui-même, peut-être ?), négligeant ainsi l’une des missions premières de la critique, qui est de rendre chaque fois à César ce qui appartient à César. Ou, pour dire les choses autrement, de dégager la spécificité de chaque écrivain. Bien sûr, on ne saurait ignorer qu’il existe des mouvements, des écoles, des courants, des époques ; encore faudrait-il les présenter et les définir.


Ce qui n’est pas loin de ressembler chez Neuhoff à de la paresse est d’autant plus regrettable qu’il prouve à l’occasion qu’il sait faire autre chose, tracer de véritables portraits. Mais on ne sait pas exactement ce qui vaut aux élus d’être élus. Si l’on comprend bien que c’est sa célébrité qui permet à Fitzgerald de décrocher une notule en bonne et due forme, on est un peu surpris du soin avec lequel est présenté le dramaturge et scénariste Michael Frayn. L’humour triste de ce Britannique mérite certes le détour, mais on se dit que Philip Roth, pour ne citer que lui, aurait été digne d’un vrai développement, et non pas simplement de trois notules mises bout à bout. En un mot, d’une synthèse. Un dictionnaire est, par définition, une suite d’articles quelque peu morcelée, mais nous savons bien que les dictionnaires réussis sont ceux qui nous amènent en douce à consulter aussi l’article Dieu quand nous allions consulter l’article Diable, et que nous continuons à parcourir, ou tout au moins à feuilleter, quand nous comptions leur accorder au mieux quelques secondes de notre précieux temps.


Ce travail d’hypnose tranquille s’effectue en revanche avec une redoutable efficacité dans le Dictionnaire chic de littérature française de Christian Authier. Certes, cet homme a lui aussi quelques tics exaspérants : un usage frénétique du futur historique, Napoléon ne cessant de percer sous Bonaparte ; une manière d’accorder à certains ouvrages le label « sans pathos » pour prouver leur qualité, comme si l’absence d’émotion et le refus de toute générosité devaient être la condition première de l’art et de la littérature ! Mais Christian Authier sait qu’un dictionnaire n’informe pas tant sur les choses dont on parle que sur les choses dont on ne parle pas ou dont on ne parle plus et que cet outil doit avoir d’abord et avant tout des vertus pédagogiques, même si certains enseignants se gaussent eux-mêmes souvent de cet adjectif. Authier présente, introduit ses auteurs, les fait exister les uns par rapport aux autres et même si l’immense majorité de son corpus se compose d’auteurs vivants — irait-on dire de Molière ou de Balzac que ce sont des écrivains « chic » ? —, il a la bonne idée de dessiner à travers les particules élémentaires de son dictionnaire une véritable histoire de la littérature française des dernières décennies, ne craignant pas de rendre hommage à des figures disparues depuis assez longtemps. Nimier, Jacques Laurent, Françoise Sagan, Sébastien Japrisot… ces références déjà datées amèneront les lecteurs les plus conservateurs à avoir envie de mettre le nez dans l’œuvre d’écrivains plus modernes — et parfois quasi-inconnus. Il y a dans les modernes des disciples respectables, Christian Authier prenant soin de distinguer soigneusement entre plagiats et filiations. Il ne manque en outre jamais — encore un côté prof, mais tellement utile pour le lecteur moyen ! — de citer abondamment les auteurs qu’il critique. Il nous permet de les goûter. Il sait que le vrai critique doit rester un homme de l’ombre. C’est dans cette humilité que réside sa grandeur. « Faites passer », nous commande-t-il sobrement à la fin de son introduction. Nous allions dire que c’est dans son dictionnaire qu’aurait dû se trouver la citation de Kenneth Kynan qui sert d’exergue à celui de Neuhoff : « Le critique, c’est celui qui connaît la route, mais qui ne sait pas conduire la voiture. » Mais non. Il vaudrait mieux dire ici : « Le critique, c’est celui qui ne sait pas conduire la voiture, mais qui connaît la route. »

 

FAL

 

Christian Authier

Dictionnaire chic de littérature française

Écriture, octobre 2015

22€

 

Éric Neuhoff

Dictionnaire chic de littérature étrangère

Écriture, octobre 2015

23,95€

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