Erri de Luca & La parole contraire ou l’art du contrepied

À point nommé, serai-je tenté de dire, cette plaquette voit le jour… Liberté d’expression !,nous serine-t-on à longueur d’antenne, de journaux, de shows télévisés, alors pourquoi Erri de Luca se retrouve-t-il sur le banc des accusés, lui qui a libéré sa parole pour dénoncer le terrorisme industriel ? Sans doute parce qu’il dérange, tiens donc, la belle affaire : hé oui, c’est romantique de s’engager contre le projet de construction de la ligne à grande vitesse du val de Suse, c’est hardi d’adhérer au mouvement NOTAV, de publier des billets cinglants, d’appeler au soulèvement, d’informer, de réveiller les consciences, de justifier le sabotage du chantier… Mais si la résistance est un plat qui se consomme chaud, la vengeance des institutions est toujours servie froide, perverse attitude et méprisante posture du puissant qui joue de sa force tranquille pour détruire toute opposition… Et prendre nos vessies pour des lanternes à vouloir inonder de lumière crue une définition un peu trop réductrice d’un terme pour le moins multiple : comme le précise Erri de Luca, saboter peut, doit, se lire et se comprendre de plusieurs façons. C’est donc une fois encore nous prendre pour des imbéciles que de nous enfermer dans le dogme de la définition d’État. Comme être Charlie n’a pas un seul sens, saboter le projet de TGV transalpin ne veut pas obligatoirement dire mettre une bombe sur le chantier !

 

Mais c’est bien mal connaître Erri de Luca, prix Femina étranger 2002 (Montedidio) qui se battra jusqu’au bout avec sa plume et sa conviction, sa rhétorique et son humour. Pot de terre contre pot de fer, on croise les doigts pour que l’argile triomphe…

 

Je revendique le droit d’utiliser le verbe « saboter » selon le bon vouloir de la langue italienne. Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de cette affaire.

Par exemple : une grève, en particulier de type sauvage, sans préavis, sabote la production d’un établissement ou d’un service.

Un soldat qui exécute mal un ordre le sabote.

Un obstructionnisme parlementaire contre un projet de loi le sabote. Les négligences, volontaires ou son, sabotent.

L’accusation portée contre moi sabote mon droit constitutionnel de parole contraire. Le verbe « saboter » a une très large application dans le sens figuré et coïncide avec le sens d’entraver.

Les procureurs exigent que le verbe « saboter » ait un seul sens. Au nom de la langue italienne et de la raison, je refuse la limitation de sens.

Il suffirait de consulter le dictionnaire pour archiver la plante sans queue ni tête d’une société étrangère.

J’accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire.

 

 

François Xavier

 

Erri de Luca, La parole contraire, traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard, 48 p.- 8,00 €

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