Que sais-je ? de "La contrepèterie", ou l'art de décaler les sons

Le catalogue de la collection "Que sais-je ?" est si varié qu'il est fatal qu’il contienne quelques volumes ennuyeux, mais la palme de la vertu dormitive pourrait bien être attribuée à l’un des derniers sortis — la Contrepèterie, de Joël Martin.  


Responsable depuis vingt ans de « l’Album de la Comtesse » dans le Canard enchaîné,l’auteur connaît son affaire, mais il a composé la totalité de son ouvrage sur un principe absurde : sous prétexte qu’il traite de la contrepèterie, il s’est cru obligé d’émailler toute sa prose de contrepèteries ; il y a même, à la fin de chaque chapitre, un avis au lecteur pour préciser le nombre de petits cailloux contrepétants que celui-ci aurait dû relever en chemin. Mise en abyme, que de crimes… ! Imagine-t-on un "Que sais-je ?" sur les corps gras qui, au nom de la même logique, serait ponctué de taches de beurre ? En fait, et c’est là que le bât blesse, ces avalanches de contrepèteries seraient admissibles si elles n’avaient essentiellement pour fonction de dissimuler la faiblesse analytique de l’ouvrage. Il faut attendre et atteindre la soixantième page — après avoir subi, entre autres, un chapitre spécial copinage sur d’autres auteurs ayant commis des ouvrages sur le genre — pour être gratifié d’un peu de théorie. Et cette théorie est quelque peu approximative : on veut à tout prix nous faire croire que, grivoiserie oblige, la contrepèterie s’apparente au lapsus, et l’on se réfère donc, en estropiant d’ailleurs son titre dans la bibliographie, à l’admirable ouvrage de Freud le Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, mais, alors qu’il y a de l’imprévu, de l’incontrôlé, du vivant (Bergson est l’autre grande référence de ce "Que sais-je ?") dans le lapsus, ce qui frappe dans la majorité des contrepèteries proposées, c’est leur caractère purement mécanique : si l’on voit une berge dans une phrase, il est évident qu’il faut immédiatement chercher une lettre -v dans le voisinage ; si l’on aperçoit des fouilles, une lettre –c. Bref, la contrepèterie est un peu comme les dessins animés de Tex Avery — c’est irrésistible cinq minutes, et assommant au-delà.


Si l’on veut donner un sens à ce "Que sais-je ?", on pourra le considérer comme on considère un recueil d’histoires drôles et le feuilleter chaque soir à petites doses avant de s’endormir, mais il n’est pas sûr qu’il ait été conçu dans ce sens.


FAL


Joël Martin, La Contrepèterie, PUF, "Que sais-je ?", mai 2005, 128 pages, 8 euros

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3 commentaires

Voici un commentaire bien sévère. La critique est aisée mais l'art est difficile.

Ah ! Boileau qui vient secourir encore... Pourquoi vouloir que le critique produise lui-même, pour justifier de son droit à critiquer parce qu'il serait de la partie ? Comme disait l'autre, je ne ponds pas d'oeuf mais je me sens hautement qualifier pour parler d'omelettes...

Erreur de ma part rectifiée aussitôt par FAL, qui est vigilant et cultivé : c'est de Destouches, dans le Glorieux, et en plus, c'est inexact, car la citation exacte est: "La critique est aisée, et l'art est difficile."