Jeremy Rifkin : Vers un nouveau régime énergétique?

Dans son nouvel essai, l'économiste Jeremy Rifkin propose un plan stratégique vers un avenir économique durable fondé sur une dynamique de « troisième révolution industrielle » par la fusion de la technologie d’Internet et des énergies renouvelables.

 

Jusqu’alors les locataires sans lendemain de la planète Terre usaient ses ressources sans se soucier de l’avenir, dévalant à tombeau ouvert « la pente descendante de la courbe de la deuxième révolution industrielle » - et les spéculateurs versaient allègrement de l’essence sur le brasier. Comme le rappelle Jeremy Rifkin, « la facture entropique des première et deuxième révolutions industrielles arrive à échéance » - « les deux cents années où l’on a brûlé du charbon, du pétrole et du gaz naturel pour propulser un mode de vie industriel ont envoyé quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre ».


Pour l’économiste qui conseille l’Union européenne, « l’âge industriel fondé sur l’énergie fossile se meurt » et « la Terre est aujourd’hui confrontée à un changement climatique potentiellement déstabilisant » - mais l’espèce en est encore à espérer « continuer à trouver de petits filets de pétrole et de gaz naturel qui permettront de maintenir en vie » … son « addiction »… Certes, « le pétrole va continuer  couler mais son débit sera toujours plus faible et son prix toujours plus élevé »... Pour l’Union européenne, longtemps leader mondial dans la lutte contre le réchauffement climatique, il y a  urgence à réussir la transition énergétique : « Devenir une économie à faible émission carbonique signifie passer d’une deuxième révolution industrielle propulsée par les énergies fossiles à une troisième révolution industrielle propulsée par les énergies renouvelables ».

 

A la veille d’une nouvelle convergence ?

 

Jeremy Rifkin invite à considérer ce « fil conducteur » : « Les grandes transformations économiques de l’histoire se produisent quand une nouvelle technologie des communications converge vers un nouveau système énergétique ». Ainsi, « les nouvelles formes de communication donnent moyen d’organiser et de gérer les civilisations plus complexes que rendent possibles les nouvelles sources d’énergie ».


D’abord, un nécessaire rappel historique : « L’introduction de la technologie de la vapeur dans l’imprimerie a fait de celle-ci le principal moyen de communication qui a permis de gérer la première révolution industrielle. La presse à cylindres actionnée à la vapeur et la linotype ont considérablement accru la vitesse d’impression et beaucoup réduit les coûts. Les imprimés – journaux, revues et livres – ont proliféré en Amérique et en Europe, ce qui encouragé l’alphabétisation de masse pour la première fois dans l’histoire. L’avènement de l’école publique sur les deux continents entre les années 1830 et 1890 a créé une main-d’œuvre alphabétisée, habituée à l’imprimé, qui a pu organiser les opérations complexes d’une économie du rail et de l’usine alimentée au charbon et propulsée à la vapeur. Dans la première décennie du XXe siècle, la communication électrique a convergé avec le moteur à combustion interne fonctionnant à l’essence pour engendrer la deuxième révolution industrielle. »


Rifkin en appelle à une « troisième révolution industrielle » fondée sur une (incertaine ?) fusion de la technique d’Internet et des énergies renouvelables. Cette jonction de la « communication par Internet et des énergies renouvelables » serait inéluctable du fait de la fin programmée des énergies fossiles. Elle repose notamment sur la conversion du parc immobilier européen : 190 millions de bâtiments dans les 27 Etats membres de l’UE devraient se transformer en micro centrales capables de capter sur site l’énergie solaire sur le toit, éolienne sur les murs extérieurs et géothermique sous les fondations afin de produire eux-mêmes leur énergie, de la stocker et de la distribuer… Il s’agirait là d’un usage dédoublé des bâtiments existants : lieu d’habitation et micro-centrale électrique – bien sûr « la reconfiguration du bien immobilier en centrale électrique fait monter sa valeur estimée »…. Tous les résidents (pour ceux qui sont en capacité de « résider ») sont appelés à devenir des mini-entrepreneurs électriques mais combien seront élus ?

 

La transition vers une ère des énergies renouvelables

 

D’abord, comment les capter, ces énergies-là, avec quelles infrastructures d’ « énergie-communication » et avec quels financements ? L’utilisation de la technique d’Internet permettra-t-elle de  transformer le réseau électrique de tous les continents en « inter-réseau de partage de l’énergie » et dans quels délais ?


 Jeremy Rifkin compte beaucoup sur l’émergence d’une latéralité génératrice de relations de travail coopératives au sein non plus d’un « marché » mais d’un éco-système constitué de communaux info-énergétiques : « L’organisation verticale traditionnelle de la société, typique d’une si large part de la vie économique, sociale et politique des révolutions industrielles fondées sur l’énergie fossile est en train de céder la place à des relations distribuées et coopératives dans l’ère industrielle verte émergente ».

Il s’en remet à une répartition plus horizontale des actions appelées à remodeler le monde de demain – et ce, en un demi-siècle. Mais le récit interactif de cette troisième révolution qu’il propose d’écrire exige bien des développements, quand bien même il serait ce « processus organique qui se nourrit lui-même et commence à vivre sa vie » sur une planète qui jusqu’alors n’a pas ménagé ses largesses. Si l’on trouve partout ces énergies renouvelables distribuées (le soleil, le vent, l’hydroénergie, la chaleur géothermique, la biomasse, les vagues et les marées des océans), tout le monde est-il pour autant en capacité d’« être son propre industriel » dans ce monde 2.0 ? Si la colonne vertébrale de la deuxième révolution industrielle, l’automobile, esquisse un virage décisif vers des réseaux d’autopartage, tout le monde a-t-il la fibre, dans un « système biaisé par de gros intérêts », pour entreprendre et coopérer afin de « réordonner la vie économique, sociale et politique du XXIe siècle » et de faire naître ce « nouveau paradigme »? S’il est impératif de remodeler notre conscience afin de s’aider mutuellement à vivre et prospérer dans ce monde-là, il faudra d’abord « apprendre à vivre et à travailler dans deux économies à la fois, l’industrielle et la coopérative » pendant ce convulsif demi-siècle de transition où s’affirmera une seule source d’emplois encore possible : « la société civile » c’est-à-dire « le lieu où les humains créent du capital social » (de « la confiance accumulée ») et « l’espace principal où se développe la civilisation »... La voie pour un tel New Deal serait-elle d'ores et déjà tracée en d'incertains territoires ?

 

Michel Loetscher

 

Jeremy Rifkin, La troisième révolution industrielle, éditions Les liens qui libèrent, février 2012, 414 p., 24 €

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