Sylvain Santi lecteur de Christian Prigent

Sylvain Santi par ses approches souligne  ce qui est essentiel dans l'oeuvre de Prigent, à savoir le concept d'"intrication", "figure qui fait foisonner, proliférer les figures". L'auteur met donc à nu ce qui se passe entre l'oeuf et le vide pour interroger ce que le défaut dans la langue lance comme pari sans retomber dans un simple prétexte de dérive qui réintroduirait la loi des re-pères par effet de bande.

Santi montre comment la loque interloque par ce qui se passe dans la mise en scène du leurre de tout fantasme de fusion (entre autre - mais pas seulement - du réel et de la langue. En fiction "basique" ce fantasme passe par la mise en scène de l'extase amoureuse, du coït ininterrompu avec le rêve d'idylle. 
Il n'y a sans doute pas de littérature sans cette naïveté,
avoue l'auteur. Mais il n’existe pas de grande littérature sans sa mise à distance cruelle. C'est à ce retournement auquel procède tous les grands auteurs comique, de Rabelais à Kafka, de Shakespeare à Beckett, de Novarina à Prigent bien sûr.

Cet important corpus rappelle l’objectif premier que Prigent précisait dans son livre d’entretiens avec Hervé Castanet : trouver le hors sens musical venant malaxer, engorger, gêner la fluidité facile et déréalisée du sens. Si bien qu’une nouvelle fois sa fiction est un engagement du corps vivant (physique, pulsionnel) dans l'écriture afin de tenter une autre manière de cerner le réel pour le lire.

C'est pourquoi Santi fait la part belle à "Chino". Majeur, un tel texte compose avec le fond sans fond du tout récit, de tout être et leur donne existence. Par la bande surgit une morale qui n’est pas vraiment hédoniste - voire paradoxalement quelque peu masochiste et puritaine. Surgissent les lignes (tordues) de vie reforgées par l'exigence d'un gai savoir lucide et donc cruel. Le romancier  fait en tomber au fur et à mesure des près de 600 pages bien des illusions affectives, amoureuses, conviviales, sociales, idéologiques, religieuses et épistémologiques par sa vis comica et la dissolution des données acquises qu'il  opère.
 

La littérature n’est plus gymnastiquement clouée sur sa croix de passion de la nomination. Elle s'esclaffe, se boursoufle,  burlesque et volcanique. C'est dans l'ordre du désordre que ça machine savamment dans le dos des ordres socialisés, précise Prigent. C’est pourquoi il remet en route dans toute son oeuvre la machination du désaccordé, la scansion énergumène, la liberté du délié, du désaccordé et l’ouverture primitive à la jouissance. Il existe un peu d'effroi devant la puissance de perte que cela suppose. Mais nul paranoÏa ni peur de la part de l'auteur.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Sylvain Santi, Cerner le réel Christian Prigent à l'œuvre, ENS éditions (École normale supérieure de Lyon), novembre 2019, 366 p.-, 29 €

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