Lexies de l’œil : dialogue avec Christian Jaccard

Surprenante démarche, mais pourquoi pas ?
Plutôt que l’essai poussif, que l’étude universitaire ou le plaidoyer subjectif, revoici une première. Une approche poétique d’une œuvre. Depuis le XIXe siècle cela se pratiquait peu. Voire plus du tout. Vision globale – poétique, sociale, philosophique – du parcours de Christian Jaccard dans un souci d’aimanter le lecteur. Inciter à la découverte.
Parallèle amusant, la sortie du livre coïncida avec la mise en ligne du site de l’artiste qui a déjà croisé son poète. Trois livres avec François Xavier, dont le Beyrouth qui marqua les esprits en son temps…

Ces lexies se démarquent de ce que l’on nous donne à lire. François Xavier, poète avant tout, aborde ce livre avec la seule idée d’aller vers plus d’éveil émotionnel à l’encontre d’un artiste hors du commun et d’un homme exceptionnel… Le monde moderne uniforme que l’on habite nous a trop habitués à voir sans regarder. Il y a urgence à se détourner de l’axe consensuel. L’art contemporain officiel nie « les axes de la poésie et de la science [qui] sont d’abord inverses » pour favoriser le seul marché. La beauté est détournée au bénéfice de la plus-value potentielle. Ainsi, plutôt que « d’opposer à l’esprit poétique expansif, l’esprit scientifique taciturne pour lequel l’antipathie préalable est une saine précaution », il convient de regarder autrement une œuvre.

Entre « voies nouées » et « voies ignées », le Grand-Œuvre de Christian Jaccard active le processus des énergies dissipées. Déconstruis par le feu, ses objets brûlés (toiles, peaux, papiers) narguent l’idée de mort en renaissant autrement par un improbable dessein. Mais Jaccard n’est pas qu’un maître du feu. Quand il ne dessine pas, ne peint pas, ne brûle pas… il sculpte, façonne, érige des objets composés uniquement de… nœuds.
Proliférant et salvateur, il imposa son règne de nœuds et d’entrelacs qui s’est petit à petit juxtaposé à celui des combustions. Une démarche qui imposa à l’artiste une transformation de son dessein en outils de traçage et de pensée. Le concept supranodal inventé par Jaccard met au monde des outillages qui trouvent leur application comme marqueurs picturaux sur différents supports ou comme objets autonomes.
Deux univers au service d’une philosophie.
Pour en découvrir tous les chemins secrets et les délices sucrés, seront convoqués Schelling et Nietzche, Klossowski et Foucault, Bataille et Benjamin, mais aussi Bachelard et Laborit. Plus quelques autres au cœur d’une réflexion que l’auteur a mené, isolé au sein d’une propriété entourée de forêts, surplombant la mer, pour mieux s’investir dans le ressenti et la contemplation de l’œuvre, et seulement…
Ainsi est apparue dans toute sa simplicité cette fameuse simultanéité contradictoire qui fait vibrer Christian Jaccard quand il poursuit sa route ambivalente : immédiateté brûlante des combustions versus lenteur récurrente des nœuds patiemment accumulés en stalagmites nacrés.


Voilà donc sous nos yeux (dé)montrée cette abstraction au centre même du concept de la fuite vers le monde de l’imaginaire en mariant si bien le désir et la terreur, métissage des pulsions qui fait tourner la tête, perdre toute notion d’arbitre et rejeter la juste mesure aux oubliettes.
Alors la révélation se fera jour : seul l’attrait irrépressible impose son codex. Mode d’expression que Lacan désigne sous le terme de dialectique du désir.

Annabelle Hautecontre

François  Xavier, Lexies de l’œil – Dialogue avec Christian Jaccard, une dizaine d’illustrations couleur, Les éditions du Littéraire/Galerie Valérie Bach, coll. « La bibliothèque d’Alexandrie », février 2017, 152 p. – 20 €

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