Prolongations, Alain Fleischer : mieux que Michel Houellebecq ?

« Quelque chose m’a toujours inquiété, ou même dégoûté, dans le désir de tout le monde d’être comme tout le monde, et cela non par une modestie louable, qui pousserait à l’effacement, à la discrétion, mais par une ambition, inconsciente que ses objectifs sont médiocres, non par inquiétude de se faire remarquer mais par désir de figurer et de se montrer parmi la société de ceux qui ont réussi, qui ont raison : la forme la plus répandue de la vulgarité ordinaire. Les jeunes veulent être assurés d’être un jour les vieux qu’ils sont déjà. Les homosexuels ne veulent plus être des francs-tireurs, contestataires des mœurs majoritaires et inventeurs de leurs destins singuliers, car ils préfèrent ressembler en tous points à monsieur et madame Toutlemonde, avec livret de famille et enfants, avec communauté des biens et patrimoine transmissible, avec devoirs et droits matrimoniaux pour Monsieur et Monsieur ou pour Madame et Madame. Tous les genres d’un même milieu, d’un même niveau social, veulent lire le même journal, y puiser les mêmes opinions convenables et partageables – politiques, religieuses, morales, culturelles, etc. –, s’y forger leur même bonne conscience collective, moutonnière, fuyant l’inquiétude que peuvent procurer les intuitions intimes, les perceptions et les sentiments personnels, ayant aveuglement adopté un état de la société qu’ils doivent conforter pour y trouver une place fixe, au lieu de le critiquer en y fragilisant du même coup la position qu’ils occupent. »


Quatrième de couverture

La vieille Europe a-t-elle fait son temps, comme on dit ? Et dans son match nul contre elle-même, joue-t-elle les prolongations ? Le narrateur, un jeune interprète franco-hongrois, vient prendre son poste dans un grand congrès européen qui s'éternise dans le dérisoire et le grotesque à Kaliningrad, une enclave russe sur la Baltique. Dans cette ville qui fut, sous le nom de Königsberg, la patrie d'Emmanuel Kant et la capitale de la Prusse orientale, il découvre une société trouble, livrée aux intrigues, aux trafics en tout genre, à la prostitution généralisée, dominée par des pouvoirs occultes et des mafias, avec de nouveaux Russes prêts à tout vendre, des Allemands de toujours prêts à tout acheter, et des filles prêtes à tout. Revenu de ses illusions, le narrateur ne peut se raccrocher qu'à des figures pourtant insaisissables : un très vieux Juif à la tête d'un cercle de survivants, spectres de l'Ancien Monde, un expert-comptable de Hambourg, chauffeur de taxi à ses heures - chacun complotant pour recommencer ou réécrire l'Histoire à sa façon -, et trois jeunes femmes qui incarnent trois perceptions du présent. Piégé dans une partie qui se joue dans un espace hors la loi, le jeune homme expérimente à ses dépens l'existence d'un temps réglementaire. Pour lui, quel refuge, quel espoir dans les prolongations ?

Biographie de l'auteur

Cinéaste, écrivain, plasticien et photographe, Alain Fleischer est né à Paris en 1944. Après des études à la Sorbonne et à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, il a enseigné dans de nombreuses universités et grandes écoles françaises et étrangères, dont l’Idhec/Fémis, l’École nationale de la Photographie d’Arles, les Écoles nationales d’Art de Nice et de Paris-Cergy. Depuis son premier roman, Là pour ça (1986), il a publié une vingtaine d’ouvrages : romans, recueils de nouvelles, essais, dont Immersion (L’Infini, 2005).

 

Alain Fleischer, Prolongations, Gallimard, 2008, coll. "l’infini", 520 p. - 22,50 euros

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