François Cérésa : Adieu à Nanard

En exergue à ce récit mené à la cravache, François Cérésa aurait pu citer L’Adieu à Gonzague, de Drieu : « Ma plus grande trahison, ç’a été de croire que tu ne te tuerais pas ». Car, dans Mon ami, cet inconnu, ne salue-t-il pas un ami de toujours qui s’est pendu à 59 ans, un homme instable et délicat malgré sa dégaine d’hercule ? Le survivant s’interroge donc, non sans se fustiger pour son aveuglement, sur ce frère manqué, ce double, un cabochard avec qui il a, depuis sa quinzième année, fait les 400 coups : « Toi et moi, on était faits pour Waterloo, le Chemin des Dames et Dien Bien Phu ». Nanard, l’artiste raté, le dragueur pathétique, le drogué aux antidépresseurs : « un petit garçon qui jouait à l’homme, égaré dans le monde des grands ». Nanard, l’homme qui n’est jamais parvenu à réconcilier son âme et son corps, le gamin demeuré incapable de juger et de décider. Nanard, l’optimiste inquiet que personne n’aura pris au sérieux jusqu’à ce qu’il se mette la corde au cou – pour de vrai.


Au fil d’un récit crypté à force de références et que l’usage intensif de l’argot obscurcit parfois, au fil de cette ballade saturée de noms de copains  et de rades d’antan, de filles et de chanteurs oubliés ou chéris, François Cérésa lance, par le truchement d’un lamento rageur et sur un mode haché, un adieu à sa jeunesse comme au monde d’avant. Affluent les souvenirs de cuites et de farces dans un Paris où « mouettes et corbeaux ont remplacé mésanges et moineaux » et où titube l’ombre avachie de Blondin, les réminiscences des années 70 et, bien sûr, les regrets. Les notes triviales de cette valse triste ne masquent guère la douleur de l’ami, dont le chant funèbre désarçonne au premier abord, avant d’émouvoir : « je me fous de la fête, de la gentillesse, du bonheur, du respect (…) de la différence, de la parité, de la solidarité ».

 

Christopher Gérard

 

François Cérésa, Mon ami, cet inconnu, Editions Pierre-Guillaume de Roux, juin 2014, 174 p., 19,50 € 

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