Interview. Franck Hériot : « Le vécu n’empêche pas l’imagination de fonctionner à plein »

Ce roman rapporte l’histoire de Charles, un reporter de guerre. À 25 ans, sa vie se brise sur une route du Liban. Il est désormais paralysé… Champs de bataille narre son combat intérieur pour surmonter l’épreuve et rapporte, avec force et détails aussi émouvants qu’impressionnants, les longs mois passés à l’hôpital, la rééducation, « ces séances de torture quotidiennes », la détresse et la rage. Heureusement, il y a sa mère aimante et rassurante, les amis fidèles, un jeune patient de neuf ans en fauteuil qui force son admiration, Sophie, la douce infirmière, ou encore les auteurs qui ne le quittent pas : Sagan, Gary, Cohen, Hugo, Hemingway, Rimbaud, Céline… Charles oscille sans cesse entre abattement et opiniâtreté, il doit, il veut composer avec ce nouveau corps. Comment s’échapper de soi-même pour se reconstruire ? Une renaissance est-elle vraiment possible ? Plus qu’un roman « Champs de bataille » est une leçon de vie.

Franck Hériot est journaliste, éditeur, créateur de la revue Crimes et Châtiments consacrée aux faits-divers, auteur de nombreux ouvrages d’investigation, « prête-plume » pour de nombreuses personnalités, il est aussi l’auteur de plusieurs romans policiers, dont La Femme que j’aimais, primé au Festival international du film policier de Liège et distingué par le Prix du Printemps des lecteurs. Par ailleurs, il est secrétaire général du Prix du Quai des Orfèvres. 

Y-a-t-il du « vécu » dans ce roman ?

Une question classique que l’on pose à tous les auteurs, et à laquelle tous les auteurs répondent : « oui ». L’écrivain est une éponge qui se nourrit de sa propre vie et de celle des autres. 

Et pour répondre plus directement à ma question…

Oui, donc, il y a du « vécu » ! L’accident, la déchéance physique, la souffrance, le long combat pour essayer de remettre les deux pieds au sol, la volonté de remarcher et la désespérance, re-vivre, retrouver sa vie d’antan. C’est une épreuve que j’ai dû affronter, c’est vrai. Et c’est à partir de ce vécu, ressenti au plus profond de ma chair, que j’ai bâti cette histoire. De même, me suis-je aussi nourri de l’époque où j’étais journaliste. Il me faut pourtant préciser une chose : le « vécu » n’empêche pas l’imagination de fonctionner à plein, comme il se doit dans un roman. Quelques personnages ont parfois existé, ou existent encore, d’autres sont construits de toutes pièces avec des éléments piochés ici et là, ainsi que certaines situations. Mais je dirais que le plus important, dans ce roman – et dans bien d’autres –, n’est pas de savoir ce qui est vrai ou ne l’est pas : l’important est ce qu’en retire le lecteur, ce qu’il va ressentir au fil des pages, ce que va lui apporter cette histoire, ce qu’elle va lui faire découvrir ou comprendre. Cela participe de l’ambition, de l’écrivain de mener le lecteur là où il le souhaite, de lui faire partager ses propres émotions et sentiments, et finalement sa propre vision de la l’existence.  

Et quelle est-elle cette vision de la l’existence ?

Ce livre ne décrit pas un monde de bisounours. Certes, la vie peut être belle, magnifique, fantastique, etc., mais n’est-elle pas avant tout une épreuve immense, que nous devons affronter dès notre premier cri ? Une éprouvante course d’obstacles dans lesquels nous ne manquerons pas de nous prendre les pieds ! Il n’est pas facile de se relever quand on chute ni d’appliquer la maxime de Nietzsche selon laquelle « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort »… nous n’en sommes pas tous capables. J’en suis convaincu : il ne faut pas se tromper soi-même, se mentir sur le sens de la vie qui n’est finalement, comme l’écrit Céline, « qu’un bout de lumière qui finit dans la nuit »… Le tout est de savoir comment on va remplir ce court laps de temps.

Quel pessimisme !

Pessimiste ou optimiste, qu’importe ! Soyons réalistes. Ne nous voilons pas la face. Pensez-vous, vraiment, que nous avons un autre choix que celui d’accepter la réalité ? Mon personnage principal, Charles, lui, n’a jamais cessé de s’y confronter sachant qu’au bout du compte il n’a aucune chance de sortir gagnant ; soit il redevient celui qu’il a été, quoi qu’il lui en coûte. Est-ce possible ? En sera-t-il capable ? N’est-ce qu’une illusion ? Soit il jettera l’éponge parce qu’il ne peut pas concevoir, « sa » vie autrement. Incapable, comme il le dit, de se métamorphoser. A-t-il tort ? A-t-il raison ? À chacun sa réponse et ici, dans Champs de bataille c’est le lecteur qui a la réponse. 

Les passages sur la rééducation sont très forts. Une chose étonnante tout de même : l’existence de Charles confinée entre les quatre murs d’un hôpital… Pour Charles l’hôpital est une prison, sa chambre est une cellule…  

Oui, bien sûr, on l’oublie ou on l’ignore, mais l’hôpital est un enfermement. Et le patient vit un système de double peine puisqu’il est enfermé aussi dans un corps inerte, claquemuré dans son enveloppe charnelle dont il ne peut plus rien tirer, ou pas grand-chose ! J’ai essayé de décrire avec la plus grande précision possible ce que l’on peut ressentir quand on est dans un tel état, cette sensation d’extrême vulnérabilité et cette souffrance quotidienne de la rééducation que Charles dépeint comme des séances de torture que seule la rage qui le dévore l’aide à supporter. 

Vous écrivez que la souffrance ne peut pas se comparer, aucune souffrance peut être comparée à une autre…

Effectivement, c’est un point sur lequel il m’a semblé important de souligner. Nous sommes inégaux devant la souffrance, à la façon d’y répondre, de la supporter. Peu importe que quelqu’un hurle pour une entaille au bout du doigt, ce qui intéressant c’est d’essayer de savoir pourquoi et comment l’aider à combattre ce qui est d’abord du ressort de la peur. De même, il est inutile de comparer le calvaire d’un cancéreux, à celui d’un rescapé des camps de la mort ou d’un tétraplégique. À chacun sa capacité de combattre, de rester debout ou de baisser les bras. Chacun fait ce qu’il peut, ce qu’il veut, avec ce qu’il a, ce qu’il est, ses doutes, ses victoires et ses défaites. Alors, surtout, gardons-nous bien de juger !    

Vous avez construit ce livre un peu comme un journal, au gré des réflexions du personnage, de ses ressentis… 

C’est ce qui me semblait le mieux convenir à ce type de récit. On suit effectivement Charles dans son quotidien. Cela permet une grande intimité avec le lecteur, et beaucoup de franchise aussi, on est dans le dur où la pudeur n’a pas, n’a plus, sa place puisque le narrateur se parle à lui-même ; il est difficile de se mentir quand on s’adresse à soi-même, sans témoin. C’était la meilleure façon de suivre Charles dans son voyage intérieur, vers l’acceptation ou la résignation.

N’y a-t-il pas un peu, voire beaucoup, d’orgueil chez Charles ?

Oui, probablement. Mais il y a aussi beaucoup de solitude à cause d’une histoire familiale compliquée. C’est peut-être cela qui conduit à une forme d’orgueil ; le sentiment que personne ne viendra à votre secours, que vous seul pourrez vous sortir de ce mauvais pas. Ce n’est pas un choix, mais une contrainte et elle est nécessaire. C’est aussi pour cette raison que Charles avance avec l’aide de ses auteurs préférés qui, parfois, lui montrent le chemin, ou plus simplement répondent à ses questions. C’est du moins ce qu’il croit, ou veut croire. Vous l’aurez remarqué ; il ne se confie à personne, jamais, même à son ami le plus proche. On pourrait aussi appeler ça de la pudeur. Mais la pudeur, finalement vous avez raison, cache une forme orgueil. 

La solitude est accentuée par une histoire d’amour que vous rapportez sous forme de conte. 

Quand Charles sort de son long coma, il est encore sous le coup de puissants antalgiques. Il a perdu la notion du temps, celle de la réalité et est incapable de la dissocier du songe. A-t-il rêvé cette femme dont il semble éperdument amoureux ? Personne n’est en mesure de lui confirmer l’existence d’une certaine Ondine rencontrée lors d’un délicieux dimanche à la campagne. Il va se débattre au milieu de souvenirs dont il ne sait même pas s’ils sont vrais ou inventés. Cette quête étrange et mystérieuse fait également partie de son combat. Peut-être, d’ailleurs, l’un et l’autre sont-ils liés…   

La fin de votre livre est très surprenante aussi. Ne peut-elle pas désarçonner le lecteur ? 

Vous le savez, un livre une fois publié n’appartient plus à son auteur… Pour ne rien vous cacher, j’avais imaginé cette fin avant de commencer à écrire, c’est même ainsi que j’ai trouvé le prénom de cette femme mystérieuse. Le lecteur comprendra. Cette fin, me semble-t-il, est extrêmement romantique dans son aspect le plus désespéré… 

Propos recueillis par Éric Yung

Franck Hériot, Champs de bataille, éditions du Rocher, février 2021, 336 p., 18,90 €

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