"Propos Comme Ça", Jacques Chardonne, derniers feux.

Paru en 1966, deux ans avant la mort de l’auteur, Propos Comme Ça est un court recueil d’aphorismes, de réflexions et de souvenirs littéraires.


A la manière des moralistes du Grand Siècle, dont il reste un admirateur passionné, Chardonne distille ses pensées sur ce que fut sa vie, son siècle et ce que lui inspire notre époque effleurée sans enthousiasme ni regret.

 

« L’écrivain est un maudit. Je ne fus inspiré dans mes meilleures pages que par la colère. Ma solitude, je l’ai voulue. Dans la solitude, il n’y a rien. Quelquefois un éclair. D’où vient-il ? »

 

Tout d'abord, l'illusion d’un mouvement irréfléchi, d’une pensée qui s’égare ; de courtes haltes sur des images ou des idées qui par un jeu de connexions se renvoient les unes aux autres sans que le lecteur n’en saisisse la logique interne. La substance se trouve dans cette apparente absence de construction.

Quelques répétitions et autres échos projetés çà et là offrent à l’ensemble un caractère spontané, morcelé, un constat d’inachevé dont les affirmations restent en suspend et les questions sans réponse.

Si l’effet de légèreté est habile c’est en même temps un style, celui de la dernière manière ; un détachement esthétique qui, entre amertume et gravité, laisse sourdre une certaine désinvolture et la sérénité de l’homme au crépuscule de sa vie.

 

Quand l’écrivain revient sur son œuvre pour s’échapper vers des considérations générales, sa plume se fait plus acérée et celui dont les Hussards se sont réclamés expose avec hauteur sa conception de l’écriture. Il fustige l’idolâtre et le braillard comme il souligne l’importance du travail et de la réserve. La plainte est la vulgarité absolue ; les préceptes aristocratiques de discrétion et de retenue sont pour Chardonne la quintessence du style.     

Du milieu de l’édition qu’il connaît bien, ce sont les livres de poche, en pleine efflorescence à l’époque, qui en prennent pour leur grade. Son goût pour l’élitisme ne peut cautionner ce qu’il juge comme une littérature jetable où le nombre de volumes publiés au rabais noie la qualité dans la masse. 

 

Comme dans Vivre à Madère, Chardonne aime évoquer ses écrivains d’élections et revenir sur ses amis passés au travers de courtes anecdotes ou d’esquisses. Montherlant, Drieu, Nimier, Giraudoux, Mauriac, Morand, Apollinaire, ou Gide… Autant d’épitaphes décalées, de silhouettes à contre-jour et de photographies volées hantent le recueil -  furtives apparitions.  


« Les écrits sont excusables à leur date. »

 

Paré de sa sensibilité refroidie, Chardonne cultive sa tranquillité comme un idéal de vie. Une philosophie du calme et de l’effacement. Ses réflexions sur l’histoire, l’amour et la politique sont celles d’un homme que le monde ne concerne que de loin. S’il reste réactionnaire, c’est plus par goût et par fidélité à un état d’esprit qui fut celui d’un Boileau ou d’un La Rochefoucauld, mais il joue de l’ignorance et du sourire lorsqu’il s’agit d’évoquer le futur ;  à l’insurgé, Chardonne préfère l’indifférent, au risque d’agacer, il est avant tout un survivant de 1945 qui a choisi l’enfouissement comme d’autres ont pu se donner la mort.

 

Entre l’apologie du renoncement et le culte de la patience, le pacifiste revient en allusions à peine voilées sur son engagement en faveur de l’Allemagne durant la guerre. Un engagement qui consistait à sauver les meubles à tout prix, Chardonne ne fut pas antisémite mais considérait le nazisme comme le seul rempart contre le communisme.


Il condamne les bourreaux quels qu’ils soient ; ceux qui torturèrent son fils résistant au même titre que les Saint-Just de la libération lorsqu’il fut lui-même emprisonné.

Il fait partie de ces gens qui dès 1918 avaient prévu le retour de bâton, notamment en regard des humiliations portées à l’ennemi.

Lui, qui rêvait encore à ces sociétés aristocratiques bercées au rythme des saisons se prend à songer encore, mais ici l’optimisme est ridicule et le pessimisme un non-sens.

 

Propos Comme Ça n’est pas un testament ni même un recueil de dernières volontés. Ce sont les dernières touches d’un perfectionniste, d’un virtuose du paradoxe assumé qui peut partir en déclarant : « Cette œuvre fut vraiment donnée ! »

 

Arnault Destal


Jacques Chardonne, Propos Comme Ça Grasset, Les Cahiers Rouges, septembre 2004, 6,80 euros

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