Les jardins de Versailles, un rayonnement royal

Copiant ou s’inspirant du château et ses jardins vus comme le modèle suprême d’élégance, magnificence, puissance, elles sont nombreuses ces fastueuses demeures qui évoquent Versailles. Esterházy en Hongrie, Wilanów en Pologne, Queluz au Portugal, Schönbrunn en Autriche, Caserte en Italie, La Granja en Espagne, Peterhof en Russie, tant d’autres lieux encore dans le monde s’y réfèrent.
Versailles demeure le point de convergence des admirations universelles, le brillant foyer alliant le grandiose tempéré par l’équilibre, le spectaculaire modéré par le raffinement, le festif pondéré par la culture. C’est le témoignage insigne d’une réalité pensée et construite atteignant la beauté parfaite, sans pareille, unanimement célébrée. Dans son introduction, Jacques Moulin écrit que c’est davantage qu’un dessein politique, une œuvre d’art voulue pour le plaisir.
Les jardins de Versailles offrent une découverte sans fin, un bonheur visuel qui plus il s’observe, plus il se renouvelle. Par l’intelligence de leur conception, par l’ampleur de leur composition, par la grandeur des décors, ces jardins imposent une présence vivante. Leur histoire accompagne celle du château, ou mieux, celle des rois qui les ont pensés et voulus. Louis XIII choisit le site avec un œil de connaisseur et décida de s’y installer en 1623. Autour du corps de logis initial, au départ rien qu’un jardin de quelques arpents. La chasse poussant le monarque à agrandir le domaine, ce jardin allait pouvoir s’étendre, devenir un parc, s’orner de toutes les créations les plus originales selon les règles du siècle : parterres fleuris, charmilles et bosquets d’ifs et de sapins, fontaines, bassins, statues et vases de marbre, terrasses et galeries.
Afin que la vue porte au plus loin possible, se perde en quelque sorte dans un infini de ciel et de terre confondus, les notions de perspective et de symétrie, les effets d’optique sont essentiels, donnant comme le note Jacques Moulin, une respiration à l’échelle du domaine. Les innovations ne manquent pas, on crée un potager, des grottes, un labyrinthe. Les références à la mythologie antique interviennent partout, concourant à enrichir les décorations par un nouveau répertoire de motifs. Minerve, Jupiter, Diane, Téthys, Galatée accompagnent désormais les princes, les ducs et toute la cour. Déjà, à la manière des guides touristiques actuels, on recommande à ceux qui visitent Paris de se rendre à Versailles.
Architecte en chef des monuments historiques, historien de l’art, restaurateur de nombreux monuments, Jacques Moulin donne dans ce bel ouvrage une nouvelle dimension aux jardins de Versailles. Pour cela, reprenant un vaste ensemble de documents d’archives, de travaux méconnus ou négligés, en France comme à l’étranger, étudiant méthodiquement les dessins et les courriers de l’époque, l’auteur replace l’évolution des jardins dans leur véritable contexte. Il apporte des rectifications et des précisons utiles. Par exemple, il rappelle que l’actuel bassin d’Apollon est exactement celui des Cygnes, creusé entre 1633 et 1636.
Un des premiers points montre le rôle fondateur, oublié ou ignoré, de Louis XIII qui fut l’initiateur de cette vaste création paysagère. Le Roi Soleil, avec une faculté exceptionnelle de visionnaire et une aptitude inégalée de bâtisseur, poursuivit les travaux, les compléta, les agrandit, donnant ainsi au projet son rayonnement universel. On attribue au poète et écrivain allemand Friedrich von Schiller ce mot : quand les rois bâtissent, les porte-brouettes ont beaucoup à faire ! Les travaux sont en effet colossaux, les dépenses sur lesquelles Colbert veille sont considérables.
Sur l’ensemble du chantier, selon certains chiffres, plus de 35 000 personnes œuvrent quotidiennement. Aux côtés des architectes, s’activent jardiniers et fontainiers. S’agissant de l’eau, élément si complémentaire de la verdure, il faut tout le génie de Jean Lintlauer, au nom oublié, ingénieur ordinaire du roi en ses fontaines artificielles, pour obtenir un jet assez vigoureux au sommet d’une colline, alors un exploit technique. Les fontainiers sifflent à l’approche du roi afin d’ouvrir les vannes au moment opportun grâce à leurs grandes clés lyres et régler la hauteur des jets !
Au fil des pages toujours très abondamment illustrées, en parallèle aux acteurs des événements, Richelieu, Catherine de Médicis, Louvois, Mazarin, Fouquet, le lecteur croise ces agenceurs de génie, ces savants concepteurs, ces conteurs prodigieux, ces penseurs insignes, ces maîtres de l’art que furent Le Nôtre, Mansart, Le Brun, Le Vau, Coysevox, Hubert Robert, Charles Perrault, Bossuet, Jean Cotelle, bien d’autres, noms réputés ou moins répandus. Au final, ces pages constituent une synthèse érudite, dense, au demeurant très accessible et donc passionnante à lire. En 1979, le domaine de Versailles était, parmi les premiers, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Une reconnaissance plus que légitime. 

Dominique Vergnon

Jacques Moulin, Les jardins de Versailles, 1623 – 1715, 200 illustrations, 250x320 mm, in Fine éditions d’art, octobre 2023, 256 p.-, 49€

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