Documents inédits ! James Joyce ou les Brouillons d’un baiser

Gageure donc que ce pari de traduire le monstre de Dublin, défi audacieux que Marie Darrieussecq a relevé avec dextérité, finesse et élégance, disposant astucieusement les mots dans un ordre précis, trouvant l’équivalent d’une trouvaille joycienne intraduisible mot-à-mot (par exemple shehusbands), puisant dans la poésie le reflet indispensable à la langue transposée.
« J’imagine que j’aurai environ onze lecteurs », disait Joyce en 1926 : or, si Finnegans Wake est réputé le plus illisible il est paradoxalement le plus lu… Le lecteur veut-il inconsciemment sortit, lui aussi, de l’ombre d’Ulysse ? Nonobstant, en se positionnant exclusivement d’un point de vue littéraire, l’Histoire montre une évidente continuité entre ces deux grands livres. Après les audaces d’Ulysse qui témoignent d’une transformation radicale chez James Joyce (après Gens de Dublin et Portrait de l’artiste en jeune homme), l’aventure stylistique se poursuit en radicalisant encore l’approche en jetant son dévolu sur la légende de Tristan et Iseult qui, outre l’aspect adultérin qui pourrait l’attirer, possède également un volet inattendu : Iseult est une princesse d’Irlande. Et Joyce a toujours affirmé que son inspiration était locale…
Mais attention, ici, comme l’indique le titre, il s’agit d’esquisses, d’ébauches, de brouillons : donc en aucun cas de ce qui fut définitivement retenu par Joyce, c’est aussi là tout l’intérêt de ces textes épars, de voir au plus près le travail minutieux de la composition, de la quête d’un écrivain dans l’ébullition de son esprit en maraude sur les chemins tortueux de la création. Ces vignettes ne sont en rien faisant partie de l’œuvre de Joyce ; mais les premiers germes d’un des plus beaux chapitres de Finnegans Wake. Ce sont donc des documents, ce qui n’en retire en rien le plaisir de la découverte.
François Xavier
James Joyce, Brouillons d’un baiser – Premiers pas vers "Finnegans Wake", réunis et présentés par Daniel Ferrer, préface et traduction de l’anglais par Marie Darrieussecq, Gallimard, coll. "du monde entier", novembre 2014, 136 p. – 14,90 €
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