La bibliothèque idéale de Jean-Robert Léonidas

 

Aujourd’hui nous sommes allés à la rencontre de l’un des poètes contemporains de la Cité des poètes : l'écrivain Jean-Robert Léonidas. Il nous livre une bibliothèque idéale enrichissante. Une bibliothèque qui donne du plaisir, de la quiétude. C’est aussi un voyage dans l’imaginaire de nos créateurs. Lire c’est regarder le monde par le trou du voyeur. C’est affronter la nuit en plein jour. C’est briser les silences qui se cachent en nous. Lire, c’est laisser la lumière du monde et du soleil pour éclairer nos cœurs.
Jean-Robert Léonidas est né à Jérémie. Endocrinologue, professeur de médecine clinique, il a publié plusieurs articles scientifiques dan les grandes revues du monde. Il a collaboré aux colonnes culturelles de l’hebdomadaire Haïti Progrès et publié aux éditions du CIDICHA, Montréal, deux essais (Sérénade pour un pays, 1992, et Prétendus Créolismes, 1995) , un roman (Les Campêches de Versailles, 2005) et un recueil de poèmes (Parfum de Bergamote, 2007, sous presse). Entre autres, il a publié A chacun son big-bang, Éditions Zellige, Retour à Gygès, Éditions Zellige, 2017. 

Le Nouvelliste : Quel est le véritable rôle de la lecture ?  

Jean-Robert Léonidas : Pour en saisir la finalité, il faut invoquer la notion de création littéraire. Les livres sont des affluents qui se jettent en amont pour agrandir le fleuve de la littérature et de la lecture. Pour être à la hauteur, l’écrivain doit lire, observer l’univers dont on dit qu’il est un énorme livre ouvert. Un auteur a donc beaucoup à dire et doit le faire avec art et mesure. Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire (Boileau). Il en découle que la lecture est un immense lieu de partage, une conversation de qualité avec de grands esprits, ceux qui ont butiné pour nous apporter la substantifique moelle. Tout bon livre est un enrichissement pour le lecteur, un gracieux cadeau à l’humanité.  

LN: Que peut la littérature ?  

Elle a le pouvoir d’éliminer le temps et la distance, de faciliter un voyage dans le passé et le lointain, dans la nature et ses surprises, dans les arcanes de l’homme et son comportement souvent imprévisible. Elle dessille les yeux, permet de grandir, de se frotter à l’autre, d’accepter ses différences. Elle est le lieu de l’imaginaire qui élargit la vie en l’embellissant, grâce au rêve, grâce au style. C’est-à-dire une langue à part qui véhicule beauté, rythme et musique. Puisque la littérature reflète les émotions, elle est une arme à tranchant. Elle procure du bonheur, engendre parfois la colère. Je l’ai déjà dit ailleurs : « La bonne littérature ne naît pas généralement au beau milieu de la perfection. Elle est plutôt consubstantielle au traumatisme et à la douleur ».  

LN : Selon vous, pourquoi lire ?  

À travers la lecture, on prend contact avec l’autre, on échange, on apprend. Selon moi, c’est la première forme de télécommunication et de rencontre à distance. Cela se fait à travers les mots qui agissent sur notre intelligence et nos émotions. La lecture est donc un important outil de socialisation qui nous emmène hors des lisières de notre territoire immédiat, hors de notre écologie habituelle. Elle nous fournit une dimension additionnelle qui nous projette ailleurs. C’est ce que j’appellerais une socialisation au second degré.  

LN: Qu’est-ce qui vous donne envie de lire ?  

La tentation de l’errance. Un besoin d’altérité. Un désir fou d’être oiseau, de s’envoler, de voyager, de s’évader, de connaître d’autres gens, d’autres mondes. C’est la façon la moins coûteuse de faire le tour de la terre, de partir en croisière le long des continents ou sur les grands fleuves du monde.  

LN: Quand vous lisez, que recherchez-vous dans un livre ?  

Mis à part les découvertes, la connaissance, l’apprentissage qui constituent en vérité la raison d’être d’une œuvre, c’est en plus la cerise sur le gâteau. Je veux dire le beau style, les figures de grammaire, la cadence, la mélodie, la danse des mots. Bref, le vertige que procurent la magie des phrases et la hauteur du texte.  

LN: Quels sont les livres qui vous ont le plus marqué, disons mieux enrichi, depuis vos débuts en littérature ?  

Les dix hommes noirs de Vilaire, Le caïman étoilé de Roumer, Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, Le petit Chose d’Alphonse Daudet, Le Petit Prince et Vol de nuit de Saint-Exupéry, Journal d’un curé de Campagne de Bernanos, Climats d’André Maurois. Bien sûr deux incontournables Haïtiens : Gouverneurs de la rosée et Compère Général soleil. Mais je tiens à ressusciter un récit paysan d’une grande beauté, plein de vérités haïtiennes et de couleurs locales. Il est intitulé Marie Desormeaux, signé par Dieffen Azor, médecin et écrivain haïtien, préfacé par Pradel Pompilus et publié par Henri Deschamps. Je l’avais acheté depuis longtemps quand on pouvait aller chiner devant la cathédrale de Port-au-Prince, à la recherche de livres rares. Dieffen Azor n’est plus. La cathédrale non plus. Ma copie a été emportée par les eaux de l’ouragan Matthew qui a frappé Jérémie dans la nuit du 3 au 4 octobre 2016. On ne sait jamais, ce petit livre paysan digne d’être lu doit encore exister quelque part.  

LN: Il y a des lecteurs et lectrices qui lisent avec une bougie allumée, un air de jazz. Quel est votre rituel de lecture ?  

Je suis un musicien amateur, je taquine le piano, la guitare, la flûte traversière et le saxophone. Lorsque je ne suis pas en mode écriture et que la lecture m’attire et m’accapare, c’est le silence presque complet. Quand je lis, je m’éloigne de mes instruments. La musique syncopée de jazz que j’aime en soi provoquerait chez moi un douloureux inconfort. La fée de la lecture qui me hante est un esprit jaloux qui ne tolère aucune compétitrice. Elle se sent bien dans le frais matin de Jérémie, sous la charmille d’une vigne. À peine tolère-t-elle le susurrement d’une brise, quelques gouttes de rosée, et le bruit d’aile d’un ramier.  

LN : Quel est le roman qui vous a le plus aidé dans votre vie ? Quand je dis le plus aidé, cela veut dire un livre qui a changé votre vision de la vie. Qui vous a fait agir différemment. Un roman qui vous a frappé en plein cœur. Qui vous a donné un peu de souffle, de fraîcheur.  

Difficile d’en rester à un seul. Dans Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, j’ai appris à me mettre dans la peau de quelqu’un d’autre. Ainsi est né mon roman « À chacun son big bang » ( Zellige, Seine et Marne, France ). Ayant lu Belle du Seigneur d’Albert Cohen, l’écrivain en moi a dès lors affronté la langue avec plus d’audace. Avec Cent ans de solitude de Gabriel G. Marquez, j’ai appris à ne pas trop brider les embardées de l’imagination. Enfin, c’est dans La force du vertige du philosophe André Glucksman que j’ai puisé cette phrase bouleversante : Être exclusivement de droite ou exclusivement de gauche, c’est se condamner à une hémiplégie morale.  

LN : Si vous alliez sur une île déserte et aviez le choix d'y apporter un livre, lequel emporteriez-vous ?  

Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez. Et si je pouvais tricher un peu, j’y glisserais quelques pages du Cantique des Cantiques de Salomon, et le jardin du Prophète de Kahlil Gibran.

(Sources : lenouvelliste.com)

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