Justine Levy, "La Gaieté", la Mère, toujours recommencée…

La Mère, toujours recommencée…


L’héroïne du nouveau « roman » de Justine Lévy voudrait de son passé faire table rase, mais il n’est pas sûr qu’on se défasse de sa mère en devenant soi-même mère.


Dans le Rendez-vous et Mauvaise Fille, elle avait évoqué ses relations compliquées avec sa mère à travers le personnage de Louise. Dans son quatrième roman, la Gaieté, Justine Lévy renoue avec cette altera ego, mais, cette fois-ci, c’est au tour de Louise de devenir mère. Elle va essayer, tant bien que mal, de ne pas reproduire avec ses propres enfants le schéma familial auquel elle a été habituée. La première étape consiste pour elle à décider qu’elle sera dorénavant gaie en toute circonstance.


Le titre et les premières pages de l’ouvrage sont toutefois trompeurs, car il est finalement peu question de gaieté dans cette affaire. En effet, Louise s’aperçoit rapidement que la maternité fait surgir toute une série de peurs et d’inquiétudes liées à la responsabilité qu’elle implique. Plus encore, Louise retrouve ses vieux démons : elle croise par hasard l’ex de son ex, dont le portrait est à peine esquissé, mais que les lecteurs de Rien de Grave identifieront sans trop de difficulté. Comme d’habitude, elle se repose beaucoup sur son père, ce héros sans cesse en vadrouille, mais qui lui voue un amour inconditionnel ; comme d’habitude, elle recourt aux drogues douces pour se détendre. Mais de fil en aiguille, c’est une fois de plus le souvenir de sa mère qui la travaille, et qui petit à petit envahit le roman. De maternité, il est finalement peu question. La difficulté d’être la fille de sa mère devient vite le sujet central du livre.


On touche ici probablement aux limites de l’autofiction, car si le livre fait à peine plus de deux cents pages, il laisse néanmoins aux lecteurs fidèles de Justine Lévy le temps de s’ennuyer. En effet, s’ils avaient pu être captivés par les précédents ouvrages, aptes à satisfaire leurs instincts voyeuristes, la Gaieté  n’offre rien de fondamentalement nouveau. Les thèmes et la manière dont ils sont abordés sont sensiblement les mêmes, à l’exception de l’apparition agréable de la dernière belle-mère. Le récit regorge d’allusions à sa difficile séparation déjà évoquée dans Rien de grave. Rien de bien original non plus dans tous les exemples montrant à quel point l’enfance de la narratrice a été difficile. Une révélation finale permet d’atteindre de nouveaux sommets d’horreur, mais ce renouvellement relève de la quantité bien plus que de la qualité et les faits qui sont reprochés à la mère de Louise sont bien trop graves pour qu’un lecteur lambda puisse aisément s’identifier au personnage. On pouvait s’attendre à un roman de l’apaisement, à un tournant dans la vie de Louise, ou même à un roman d’apprentissage tardif, mais ces aspects s’estompent progressivement pour laisser place, dans chaque ligne, à une impression d’enlisement. Le style de Justine Lévy produit, il est vrai, une tonalité générale de gaieté, quels que soient les événements décrits, aussi pénibles soient-ils. Néanmoins, les énumérations dans lesquelles elle se complaît, l’ambivalence et la quantité de ses sentiments et de ses inquiétudes ont pour effet d’étouffer, de noyer le lecteur : il y a très peu de recul dans ce déversement de détails intimes.


Bien évidemment, on perçoit, en creux, l’idée que l’écriture joue ici un rôle thérapeutique et cathartique, et on ne peut qu’éprouver de la compassion pour Louise, à laquelle on souhaite de réussir un jour à surmonter son difficile passé. Mais, la plupart du temps, le discours que nous entendons aurait plus sa place dans le cabinet d’un psychanalyste que sur les présentoirs des librairies. Seuls les lecteurs qui découvriront Justine Lévy avec ce roman pourront éprouver les émotions qu’elle avait su précédemment inspirer à ses fidèles de la première heure.



Élizabeth LÉVY



Justine Lévy, La Gaieté, Stock, janvier 2105, 18 €

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