Jean-Jacques TACHDJIAN : L'IMAGINIEUR.

La parution d'un gros album, luxuriant et bourgeonnant, de Jean-Jacques Tachdjian (regroupant divers travaux) rappelle opportunément deux choses : que l'art graphique en général et la bande dessinée en particulier ont réalisé leur révolution au vingtième siècle tout d'abord et, qu'ensuite, la production graphique est loin d'être un art d'analphabètes… Le premier point peut être illustré, à titre d'exemple, par l'œuvre d'un Philippe Druillet : le père de Lone Sloane créa aussi des pièces en pâte de verre pour Daum, il réalisa au moins un clip, la série Xcalibur pour la télévision, il s'intéressa à la peinture, la sculpture, l'architecture et l'infographie…

Mais il faut revenir à Jean-Jacques Tachdjian et c'est là que le second point peut être particulièrement illustré. Cet album est largement autobiographique car Jean-Jacques Tachdjian, via le dessin et la photographie, raconte sa vie : c'est ainsi qu'on trouve des pages sur son père et sa mère, sa première image… Mais il y a plus et mieux : ce sont ses références à l'Art avec un grand A.

Il n'est pas étonnant de trouver (pp 84-85) un hommage à Kijno au travers de ses Balises pour Angela Davis revisitées car Jean-Jacques Tachdjian a conçu et réalisé graphiquement le catalogue de la rétrospective Kijno au Palais des Beaux-Arts de Lille en 2000. Il reprend la silhouette de la philosophe américaine des Balises de Kijno et la couvre de dessins à sa façon…








Ailleurs certains de ses travaux, par leur symétrie et leur remplissage de la surface, font penser (pp 56-57) aux œuvres d'Augustin Lesage : sans doute Jean-Jacques Tachdjian a-t-il vu des toiles de Lesage au Musée d'Art moderne de lille-Métropole à Villeneuve d'Ascq ou celles des expositions de Béthune ou d'Arras en 1988-89 ? Et le logo de La Chienne (pp 188, 224) ? Il rappelle la fameuse phrase de Lautréamont : "…beau […] comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie". Si la table de dissection et le parapluie sont absents, la machine à coudre est là. Et c'est suffisant ! On pourrait, ad libitum, multiplier les exemples. Ma premier police (p 40) rappelle les travaux des constructivistes russes ou, plus proche de nous, ceux de Grapus. Ou encore, l'utilisation de La Joconde dans une affiche de 2010 pour annoncer une exposition à la Maison Folie de Wazemmes…
Renaud Faroux situe bien Jean-Jacques Tachdjian dans le paysage artistique de ces dernières décennies. Après avoir cité Jean Dubuffet, Edward Fella et Bertolt Brecht (p 92), il place Jean-Jacques Tachdjian dans le sillage de Robert Combas et d'Hervé di Rosa : ce n'est pas mal vu ! Et Vanina Pinter s'intéresse aux recherches typographiques de Tachdjian : "La typographie reste le véhicule premier de la pensée".

Il faut laisser le dernier mot à Renaud Faroux qui décrit parfaitement celui qui se définit comme un imaginieur : "Jean-Jacques Tachdjian […] demeure un graphiste à la marge, dans l'underground, reste un manipulateur d'archétypes, un dénonciateur de mythologies et un  producteur d'images dont la beauté fantasque et fantastique donne toujours à rêver et à réfléchir".

Lucien WASSELIN.
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