Le discours pornographique, objet de connaissances et de savoir

Le discours pornographique de Marie-Anne Paveau, est un essai de la collection L'attrape-corps des éditions La Musardine, que l'auteure dirige depuis peu.


Il y a pléthore d'essais sur le phénomène pornographique  ces dernier temps, mais A.M. Paveau,  universitaire en sciences du langage,  embrasse la question de façon très large. C'est bien le discours pornographique qu'étudie l'essayiste et non la pornographie, ou la littérature pornographique. La différence est essentielle est-il précisé, l'essai, de neutralité morale, parle sexe mais aussi graphie et médium.  Le discours englobe donc des textes, des images, des vidéos, des sites web et la façon dont on les aborde.


Je vais commencer par évoquer la  pertinente postface écrite par Wendy Delorme. La jeune femme  apprécie que le monde de la recherche universitaire dialogue avec  l'univers sex-positif (qui veut développer des formes alternatives de pornographie). Delorme espère que les études de la pornographie ( que tous s'entêtent à appeler en France porn studies, ça doit faire plus intello branché)  peuvent contribuer à rendre à ses actants leur statut de sujet, quand les sciences humaines et sociales transforment d'ordinaire les sujets sociaux en objets de recherche.  Mais,  sans aller jusqu'à dire que tous ceux qui prétendent étudier la pornographie devraient l'expérimenter,  Wendy Delorm affirme qu'ils doivent aussi savoir ce que c'est d'exposer son corps, sa sexualité. Il ne doivent pas forcément l'expérimenter mais tout au moins accepter de l'imaginer sans faux fuyant. 

Ces propos m'ont fait penser à Esparbec, qui avec sa verve habituelle, est plus radical et  met sévèrement  en garde contre tous les penseurs de la pornographie :  [Méfions-nous de ceux qui écrivent sur le sexe ; autrement dit, les détenteurs du savoir, les professeurs, les « essayistes », bref, la horde des commentateurs, tous ces culs pincés, tous ces emmerdeurs qui regardent la pornographie du dehors, sans se mouiller, avec un intérêt prétendument scientifique, tous ceux qui essaient d’enfermer dans du jargon ce qui leur échappera toujours, ce qu’il n’ont jamais connu : le cru, le viscéral du sexe, qui est le propre de la vraie pornographie. (Leviceetc - son message aux lecteurs )]


  Pourtant, selon M.A Paveau et n'en déplaise à Esparbec, la pornographie, se révèle être un objet de connaissances et de savoir qui déborde de l'étude sociologique : L'ouvrage repose sur la conviction que les pornographies produisent des savoirs qui ne sont pas traditionnels mais qui passent par les sensations, les émotions, le corps et les fantasmes, elle cite d'ailleurs Virginie Despentes dans King Kong théorie :  [le porno tape dans l'angle mort de la raison......Et c'est là que hurlent beaucoup de militants anti-porno. Ils refusent qu'on leur parle directement de leur propre désir, qu'on leur impose de savoir des choses sur eux-mêmes qu'ils ont choisi de taire ou d'ignorer].

 

Même en 2014, le mot pornographie  reste condamné sans même être illégal. Cette grande affaire pornographique est  un fourre-tout  où chacun y jette ses peurs, l'immoralité, le diable, le vice, le crime, l'addiction mécanique, le sexe payant, le degré zéro du sentiment, l'enfermement dans le vice....Il est vrai que c'est parce que le discours pornographique échappe aux normes sociales qu'il donne de l'urticaire aux braves et bonnes gens.


Ceci dit, A.M. Paveau ne gaspille pas  trop son temps à déterminer ce qui est pornographique et ce qui est érotique, et c'est tant mieux, cette bataille sempiternelle se tient dans cette nuance qui clôt tout vain débat  : ma sexualité est érotique, la tienne est pornographique.


L'essentiel est plutôt  de s'accorder sur ceci : la pornographie est un langage qui "fait quelque chose" au moment où il est proféré, c'est la représentation  publique et explicite de l'activité sexuelle génitale (texte, image, vidéo etc..) pour produire une excitation. Ce n'est donc pas équivalent au  sexe,  ni à  la sexualité ni  même à l'obscénité.  Je comprends que ce que je fais en huis clos, même de complètement débridé et indécent n'est pas du tout porno, mais si je le donne à voir, ça le devient. 

L'auteure, elle, donne un autre exemple : le godemiché n'est qu'un objet, donc absolument pas pornographique. C'est l'évocation, l'imaginaire, le fantasme qui sont pornographiques en animant l'objet mentalement.  Jean-Eudes Tesson résume la chose ainsi : [On ne peut s'empêcher de penser que ceux qui ne jouent pas ou ne savent pas jouer dans leur vie sexuelle sont enclins à dévaloriser les objets et à les disqualifier en les traitant de pornographiques pour signifier leur répulsion].


La 2ème partie de l'essai, qui  s'intéresse à  l'analyse lexicale m'a vivement intéressée. Les mots sont-ils pornographiques ? Et que disent-ils du sexe ? Mots, connotations,  champs lexical au cinéma, dictionnaires du genre, X, 69...jusqu'aux noms des stars du porno sont passés au crible de la linguiste Anne-Marie Paveau. Le discours pornographique n'est pas un verbiage sexuel ni une écriture, c'est une écriture elle-même sexualisée, ce qu'affirme encore  Esparbec.  Et du mot au texte, il n'y a qu'un pas que franchit A.M.Paveau dans  la troisième partie de l'ouvrage, elle se penche  sur le texte pornographique, le script littéraire, les procédés pour dire le sexe, l'emploi de la ponctuation et des interjections, les faux récits et les vraies postures, etc.


L'internet, les blogs érotiques,  porno commerciaux ou privés, et le  livre numérique pornographique sont largement abordés et analysés comme une extension du domaine pornographique dans le chapitre 4, intitulé Technopornographie. On peut ici commencer à s'interroger sur la teneur pornographique de l'analyse. Tout est mélangé, romance salée érotico-fleur bleue et pornographie. L'auteure cite des chiffres de vente d'e-books érotiques qui peuvent laisser dubitatifs puisqu'elle ne mentionne pas que c'est la seule romance érotique qui séduit les lectrices.  Comment a-t-elle procédé pour enquêter quand on sait la difficulté à connaître la vérité économique sur le secteur numérique ? 

Parce que le boom dit prometteur, concerne uniquement les bluettes épicées et par ailleurs les ventes stagnent au niveau des pâquerettes pour des textes  plus transgressifs qui ne répondent pas aux codes éditoriaux porteurs, les éditeurs du reste n'axent la promotion de leurs ouvrages érotiques que sur quelques rares titres ainsi transformés en scuds, pour dire autrement ce qu'est un buzz préfabriqué. D'autre part le site de vente Mischief, que l'auteure cite pour en souligner la réussite, ne se porterait pas aussi bien que cela. Quoi qu'il en soit, il n'en reste pas moins vrai que le texte court éroticoporno qui se lit en trois fois rien de temps et ne coûte que le prix d'un ou deux cafés est le fond de commerce des éditeurs tels que Numériklivres ou Dominique Leroy qui sont confrontés à l'offre gratuite de textes érotiques par ailleurs.


Enfin l'auteure termine son essai en analysant ce que la pornographie fait du réel. Est-ce que dire des choses, c'est faire des choses ?  La pornographie est-elle un outil pour les femmes, de quelle façon s'approprient-elles ce discours ? Les travailleuses du sexe s'illustrent avec force en voulant être partie prenante dans leur activité et exprimer leur volonté.


Marie-Anne Paveau conclut son essai en constatant d'une part l'effritement de la séparation du corps et de l'esprit et d'autre part  l'émergence de discours pornographiques  alternatifs féminins qui se heurtent aux revendications des féministes pornophobes.  Au final, il y a dans cet ouvrage de très bonnes pistes de réflexion à suivre.


Anne Bert


Marie-Anne Paveau - Le discours pornographique - Collection L'attrape-corps  - La Musardine -  mai 2014 - 375 pages - 18,50 euros - 

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2 commentaires

Excellent article d'Anne Bert, qui ouvre en lui-même des pistes de réflexions et m'incite à lire l'essai dont il est question. On est quand même surpris par la conclusion de l'auteur de l'essai, qu'Anne Bert présente ainsi : "l'émergence de discours pornographiques  alternatifs féminins". On est curieux de savoir ce que pourraient être des "discours pornographiques alternatifs féminins". Alternatif à quoi ? Au "porno de mec" dégradant pour l'image de la femme ? Le discours "porno féminin" sera plus politiquement correct ? Plus respectueux de ci ou de ça ? Avec plus de bisous et de caresses ? Avec des quota de domination de la femme sur l'homme, 50/50 ?  

très bon article, et très bonnes réflexions d'anonymous1...