Édouard Baer en Absurdie

Le théâtre de l’absurde est une bénédiction, il offre tous les possibles d’écriture, toutes les pirouettes scéniques, l’improvisation insolente et le jeu avec le public. Convoquant Albert Camus, Romain Gary, Charles Bukowski ou André Malraux, Édouard Baer interprète un acteur terrorisé qui arrive du théâtre d’à-côté et s’ouvre au public de ses déboires. Pétillant d’impertinence et jouant décalé, Baer n’en reste pas moins sous le regard bienveillant de Cioran, Ionesco et Beckett : c’est d’ailleurs ses pairs en fantômes silencieux qui aiguisent notre appétit et nous offre un puissant plaisir de lecture.
D’autant plus facile que l’on connaît notre homme et qu’il suffit de l’imaginer sur scène pour jouir tout son saoul de ses pitreries littéraires.  

Et grand bien lui en a pris, malgré ses doutes légitimes, de coucher sur le papier ce spectacle jusqu’alors resté dans l’oralité et joué sans filet tous les soirs, au risque de sombrer ; car ainsi nous voilà complice, témoin reconnaissant d’avoir sous les yeux, dans la main, ce livre que l’on peut relire à l’envie, à haute voix, dans son lit, sur la terrasse au soleil pour s’enivrer… 

Pour les moins de quarante ans, rappelons qu’Édouard Baer nous est apparu un beau soir de 1997, tel un diablotin poète, sorti tout droit d’un bureau oublié où régnait un joyeux bordel pour soumettre aux téléspectateurs un instant suspendu au-dessus du miroir cathodique. Médiamétrie as-tu une âme ?
Avec un sérieux impressionnant et un aplomb digne d’un Premier ministre, Baer pilotait son Centre de visionnage de l’émission Nulle part ailleurs sur la chaîne Canal plus, dans le but de contribuer à son amélioration dans la mesure où il y aurait lieu de le faire; et nous pleurions de rire derrière notre écran.
On le retrouve encore aujourd’hui sur les ondes de Radio Nova où sa voix extraordinaire nous envoûte pour nous plonger dans des voyages infinis de tendresse et d’ironie… 

 

 

Comme le montre cet extrait, Édouard Baer est cabotin, improvisateur mais surtout habité ; comme tous les monstres sacrés du théâtre – d’ailleurs il se paye le luxe d’imiter Noiret, Rochefort et Marielle – il porte en lui cette grâce qui lui permet de dire absolument tout et n’importe quoi avec la justesse d’un vers de Molière. Parfois Alceste, parfois Scapin, le voilà en funambule qui jongle avec les mots en poète troubadour… Et puisque tous les spectacles sont annulés, on saluera l’initiative de l'éditeur pour nous permettre de patienter en embarquant dans cette joyeuse féérie absurde. 
 

 

François Xavier 

 

Édouard Baer, Les élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce, accompagné des magnifiques dessins de Stéphane Manel, Éditions du Seuil, février 2021, 160 p.-, 16 € 

Avec un petit extra pour la route...

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