Les Détenues de Bettina Rheims sont des femmes comme les autres

S’il est une photographe qui aura œuvré pour démystifier le portrait, lui soustraire cette idée préconçue que le modèle doit être, par principe, d’une beauté totale, c’est bien Bettina Rheims qui, dès sa série sur les stripteaseuses de Pigalle en 1980, cristallisa dans son objectif toute la douleur, la violence, le désespoir de ces femmes-objets.
Confirmation d’une démarche décalée, parfois dérangeante avec Chambre close (1990-92) ou Gender Studies (2011) qui voit ici son apothéose dans la série Détenues : soixante-huit photographies de femmes si différentes, si "normales", quelconques, fades, vulgaires, épuisées, abattues.
Elles sont si banales qu’elles en deviendraient invisibles si elles n’étaient regroupées dans un seul et même lieu, clos : la prison.

C’est Robert Badinter qui insista auprès de la photographe pour qu’elle réalise cet ouvrage composé de ces visages anonymes, un désir de redonner à chacune une personnalité qui tend à s’effacer derrière les barreaux. La prison, machine à détruire plus qu’à permettre une rédemption, lieu sordide où la dignité humaine est souvent absente, d’où ce projet porté par l’ancien ministre pour que ces femmes recouvrent un peu de désir d’ailleurs, un peu d’espoir.

Une série photographique pour montrer qu’une détenue est avant tout une femme, une femme normale. Fallait-il autant d’efforts pour une telle conclusion ? Le sujet est tabou, il faut donc casser les codes, d’où une mise en abîme particulière. Bettina Rheims a choisi une couleur froide, une pose identique pour toutes, une préparation digne de ces modèles du show-biz et ainsi le regardeur est-il confronté à l’unique contemplation d’un tout, de cette seule différence qui se situe dans la pose… et le modèle.
 

Confrontés au cliché de grande taille nous aurons tous une approche différente, une lecture qui ira chercher quelque chose dans le regard du modèle ou dans l’écriture de la chair.
Une est de dos, une autre dévoile ses aisselles et remonte ses seins, un petit ventre s’arrondit, un dos nu dévoile un tatouage de mauvaise qualité, certaines peaux s’affaissent… la vérité est là, la réalité de la vie carcérale qui est aussi la vie de tous les jours pour ces dames, une vie qui s’inscrit surtout, comme on finit par le découvrir, dans les mains, doigts rouges, boudinés, gonflés, que certaines manucures de dernière minute ne parviennent pas à cacher.
La misère ne se dissimule pas sur le corps, impossible…

à noter que la série est exposée jusqu'au 30 avril 2018 à la Sainte-Chapelle du château de Vincennes ; puis sera présentée du 1er juin au 4 novembre 2018 au château de Cadillac, près de Bordeaux.


François Xavier

Bettina Rheims, Détenues, préface de Robert Badinter, texte de Nadeije Laneyrie-Dagen, 220 x 284, broché avec bandeau, 68 photographies couleur, Gallimard, février 2018, coll. "Blanche – grand format illustré", 180 p. –, 39 €

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