Napoléon III, Jules César et les Gaules

Les traits du Buste de Tusculum sont ceux du visage des monnaies frappées un peu avant son assassinat. Au-dessus du regard vide, le front est large, celui du puissant stratège politique et militaire que fut Jules César. L’homme d’état romain a fasciné aussi bien Charles VIII, Henri IV, Louis XIV que Charles-Quint, Soliman II et Christine de Suède. Surtout Napoléon III, qui comme Napoléon 1er admirait le consul autant que le conquérant. Dès sa jeunesse, il s’intéressa au tribun en y faisant référence dans ses premiers ouvrages.
Ce livre richement documenté en apporte la preuve. Le texte au style précis et élégant nous fait pénétrer au cœur même de la civilisation gauloise.
Injustement critiqué par Victor Hugo dans son pamphlet Napoléon le petit publié en 1852, Napoléon III engagea le Second empire dans des réussites durables comme le chemin de fer, le système bancaire, l’urbanisme, les arts, qui ont permis de restaurer une image vue longtemps et seulement à travers le prisme de la fête permanente.
C’est une période au cours de laquelle s'illustrent notamment Mérimée, Manet, Haussmann, Viollet-le Duc, Offenbach. Le portrait en pied de l’empereur exécuté par Alexandre Cabanel en 1855 est d’une belle éloquence, montrant moins un souverain en chef d’état avec un uniforme couvert de décorations qu’en homme fier de son héritage culturel.
Peu connue, pourtant remarquable à de multiples égards, son étude sur la guerre des Gaules montre avec quelle intelligence, quelle énergie, quel sens politique Napoléon III se lança dans une fantastique aventure collective. En effet, dans le but de comprendre et de retracer au plus près possible les batailles entre les tribus gauloises et les légions romaines sur le sol français, il s’entoura d’une équipe des plus érudites d’ingénieurs, d’officiers, de géologues, d’architectes et d’archivistes et créa en 1861 la Commission de Topographie des Gaules.
De surcroît, il y avait là une volonté de mise en valeur du patrimoine qui ne cessera depuis de s’affirmer. Les travaux et les fouilles menées notamment sur le site de la commune d’Alise-Sainte-Reine aboutirent, au terme d’années de querelle, à la localisation effective du lieu fondateur d’Alésia (- 52 av. J.C.).

La trentaine de cartes qui se trouve à la fin de ce volume met en valeur la précision et la finesse de cet atlas, où figurent par exemple le camp de César à Gergovie, le plan de l’oppidum des Aduatuques, le pont sur pilotis construit sur le Rhin, un castellum romain sur l’Aisne, les axes de différentes expéditions romaines ainsi que des indications topographiques facilitant la reconstitution des batailles. Voulant confronter aux réalités du terrain les textes, Napoléon III faisait ainsi une véritable œuvre d’historien, laissant de ce fait une somme de connaissances que les techniques modernes comme la photographie aérienne ont confirmées depuis.
Le 20 mars 1865 alors que le premier tome vient de paraître, Le Journal des Débats insiste sur la destinée de ce monument précieux d’histoire ancienne par le sujet et d’histoire contemporaine par l’auteur, appuyé sur d’immenses recherches. Dans son article publié le 14 mars dans le Journal des Débats Politiques et Littéraires, le journaliste et politicien Samuel Ustazade Silvestre de Sacy, livre une vibrante critique. Le journaliste écrit que l’Empereur est tout entier dans ce livre. [...] Un jour peut-être, avec cette histoire de Jules César, on pourra refaire l’histoire de Napoléon III, l’histoire du moins de ses pensées, de ses convictions, de son âme .*
Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord dès lors qu’il s’agit d’un tel thème, la lecture de ces pages est en tous points passionnante, tant sous l’angle historique et politique que militaire, philosophique et humain. Au fil des campagnes qui se succèdent, défilent des noms oubliés et pourtant célèbres qui reviennent en mémoire, comme Cicéron, Pompée, Tacite, bien évidemment Vercingétorix. On suit pas à pas, victoires après victoires, actes de bravoures après morts glorieuses, ces légions qui avaient éveillé parmi les Gaulois des sentiments d’admiration mais aussi de défiance. A noter que lorsqu’il s’agit de l’expédition de Jules César vers la Britannia, c’est à dire la Grande Bretagne, déjà connue des Phéniciens pour l’abondance de ses métaux, le neveu ne manque pas quand il évoque la ville de Boulogne de rappeler que son oncle avait choisi ce site pour son propre projet d’invasion de l’île anglaise, car les conditions nautiques et pratiques n’avaient pas pu changer à travers les siècles.    
Pionnier dans un domaine appelé à un grand avenir, maître d’œuvre tant à Paris que sur le terrain d’un immense chantier dans lequel il s’impliquait jusqu’à y mettre de l’argent provenant de ses fonds personnels, Napoléon III visait également à restaurer une identité nationale dans l’ensemble de la population française mais aussi au sein de l’Europe. Une lecture plus qu’utile de nos temps pour confirmer nos origines.     

Dominique Vergnon

Napoléon III, La guerre des Gaules, histoire de Jules César, 170x240 mm, illustrations, éditions Errance & Picard-Actes Sud, février 2024, 416 p.-, 39€

*   09/10/2017, Julie Duruflé (RetroNews)

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