La vie a-t-elle un sens ?

Peut-on rejoindre le rêve poétique du monde sur un coup de tête ? Adelphe le croit puisqu’il décide de tout plaquer, travail et logement, pour s’en aller sur les bords de la Méditerranée tenter l’impossible. Un hôtel en bord de mer, une folle envie d’absolu, quelques verres de scotch et un bain de minuit, nu, pour faire l’amour avec Thalassa… Mais une lamentation sur une plage, dans un état d’ébriété avancée, justifie-t-elle sa démarche ou n’est-ce pas plutôt une fuite, encore, pour noyer la vérité qui s’est imposée dans sa plus cruelle réalité ?

Adelphe a cru pouvoir revivre l’amour – après la mort de sa compagne –, a cru qu’à l’aube de la retraite les bras de Maïsha le protégeraient des abysses du remords, de la brûlure de la raison pure qui se dévoile au fil du compte-à-rebours qui décline. Si la sève coule encore dans son corps meurtri – malgré quelques oublis – elle ne compense en rien l’inconciliable antagonisme que matérialise la différence sexuée. Le désir n’est pas l’amour, et l’amour n’est pas que désir, loin de là, il est tellement plus !
D’où son emballement à vouloir s’extraire de son corps lourd et pesant, de vouloir n’être plus qu’esprit, pouvoir ainsi voyager au-delà des temps finis et recouvrer l’insoutenable légèreté de l’être que la gravité culturelle a clouée sur le sol terrestre. De là à finir à l’hôpital psychiatrique il n’y a qu’un pas, trop vite franchi, et le voilà enfermé entre quatre murs sous l’emprise des opiacées qui le font dormir d’un sommeil qui n’apaise en rien l’esprit.

Qu’à trop réfléchir nous ne sommes plus bons à rien ? Sans doute, voilà confirmée la maxime biblique : heureux les simples d’esprit le royaume des cieux leur appartient. Or, Adelphe n’est en rien décérébré et ne passe pas ses soirées devant la télévision à regarder un match de football en sirotant une bière tiède ; il joue du clavecin pour se laver l’âme des manuscrits abscons qu’il a lus dans la journée, tentant d’oublier son amour de la littérature désormais mal mené par la politique éditoriale de son employeur…
Marginal s’il en est, Adelphe succombera tout de même au charme trop jeune d’une stagiaire noire, qui tout en étant née en France et n’ayant jamais mis les pays sur le continent africain, n’en porte pas moins les stigmates comme un héritage génétique défaillant, la conduisant à haïr ce qu’elle aime, à confondre l’homme Blanc avec les turpitudes de l’Histoire, comme si Adelphe portait en lui toute la concupiscence de l’humanité.
Pensant à tort que la nudité de la femme est en rapport avec le divin, Adelphe se noiera dans les humeurs de sa belle, fasciné par son corps aux intérieurs roses, cette origine du monde commune à tous et dont il se pourlèche les babines à satiété mais le venin des culpabilités aboutira à la fin de l’amourette…

Envoi de la vie terrestre, ce roman magnifique – tout aussi puissant que le précédent, Roma/Roman, 2013 – porte en lui toute la damnation des Hommes confrontés à une quête spirituelle sans jamais parvenir à domestiquer les outils indispensables à sa réussite. Entre errance et divagation, nous sommes condamnés à l’échec malgré les petits plaisirs volés ici et là, mirages pervers qui tendent à nous faire prendre des vessies pour des lanternes tant le tunnel est obscur, d’une noirceur dense que les avancées ponctuelles ne parviennent jamais à totalement éclairer. Destin funeste des Hommes perdus dans une immensité où sa démesure leur offre quelques percées dans la bataille perdue des émotions grivoises.

Portée par une langue musicale et chamarrée, cette histoire scelle définitivement l’idée d’un progrès, puisqu’il n’y est question que de matérialité, et qu’en rien les Hommes progressent vers une spiritualité efficace dont on pourrait efficacement jouir de ses bienfaits. Le monde contemporain vacille vers une mort programmée que l’intelligence artificielle soldera au nom d’un pragmatisme assumé. Nos âmes alors n’auront plus que l’immensité aquatique pour s’apaiser, se retrouver, et revenir dans une boucle salutaire, là d’où jamais elles n’auraient dû s’extraire…

François Xavier

Philippe de la Genardière, Mare Nostrum, Actes Sud, janvier 2019, 260 p. – 21 €

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