Lui dire ses quatre vérités ou l’Instinct primaire de Pia Petersen

Étonnante collection que Claire Debru a initiée chez Nil (groupe Robert Laffont) où les auteurs sont sollicités pour écrire une lettre dans laquelle toutes les vérités sont bonnes à dire. Ainsi, quand Romain Solocombe livra sa lettre de délation, le landernau germanopratin laissa échapper quelques frémissements de bon aloi, mais le livre était nettement trop ambitieux pour ces jurés frileux des prix d’automne… Le bouche à oreille fit le reste, et deux émissions de télévision finirent par porter au grand public la bonne parole.
Espérons qu’en ces temps de disette le Père Noël n’en oublie pas pour autant ce nouvel élément de première importance. Il évoque un sujet primordial dans cette époque délirante où l’on marche sur la tête plus souvent qu’autre chose, ainsi, s’il y avait une avancée à savourer, c’est bien dans la reconnaissance – et sa mise en pratique – de l’absolue égalité entre les êtres humains, en débutant par le prisme homme/femme. Plutôt que de verser dans l’infantilisation de la langue et sa féminisation outrancière – et injustifiée – il convient d’oser aborder honnêtement les sujets qui fâchent. Ainsi, vous lirez Pia Petersen (qui m'avait enchanté avec Un écrivain, un vrai) sans la moindre retenue, appréhension, orientation, suggestion ou tout autre argutie insidieusement évoquée par quelques critiques, mâles de préférence, en conflit avec le talent qu’ils n’ont pas.
Car Pia Petersen est un écrivain, et non une femme qui écrit !
À l’image de tout artiste, elle est habitée. Elle n’écrit pas comme d’autres vont au bureau, elle s’impose un mode de vie, une manière d’être, c’est en elle. Sacerdoce, passion, appelez-le comme vous voulez, mais de Lou Andréa Salomé à George Sand ou Colette, ces dames de la littérature nous ont maintes fois démontré qu’elles dépassaient la grande majorité des hommes. Raison de plus pour cesser, une bonne fois pour toutes, de les considérer autrement.
Exit donc cet insipide et risible prix Fémina !
Et quitte à faire le ménage, jetons aux orties les conventions, les coutumes et les traditions ; et commençons par la première : le mariage. Ce bout de papier si conventionnel qu’il appelle – presque obligatoirement, insidieusement, nécessairement – l’adultère. C’est là que l’on voit l’importance exagérée du mariage. La maîtresse est toujours considérée comme l’intruse, la créature qui s’immisce dans le couple dit sacré puisque tenu par un contrat de mariage. C’est n’importe quoi. Moi, je dis qu’il faut libérer les maîtresses de leur clandestinité forcée.
La narratrice est cette mariée aux yeux brouillés de larmes qui s’enfuit pour ne pas épouser l’homme de sa vie. Voilà un an que cela s’est produit, elle ne l’a plus jamais revu. Elle ne parvient pas à le joindre au téléphone, alors elle lui écrit cette longue lettre. Car elle assume être cette femme qui a choisi de ne pas se résigner à enchaîner son amour dans des conventions sans avenir. Elle revendique sa liberté d’être humaine sans devoir être sexuée systématiquement et devoir assumer cette maternité imposée. Être femme ne veut pas dire nécessairement être mère !
Diatribe cinglante sur cette réalité occidentale, tout aussi misérabiliste que cette culture musulmane que l’on critique tous les jours, cette lettre inondée de lucidité renvoie les femmes à leur lâcheté. Celles qui refusent de franchir le pas pour devenir enfin ce qu’elle[s sont, des] être[s] humain[s]. Au lieu de cela, elles refusent l’évolution et se cantonnent dans leur animalité : méchantes, mégères, sans amour, égoïstes, asséchées, amères, vindicatives…
Mais de quel droit juge-t-on une femme qui choisit de ne pas avoir d’enfant ?
Drôle d’habitude que cette manie si humaine d’avoir un avis sur tout, et de se mêler des affaires des autres. La narratrice se voit confrontée aux médisances de ses amies qui lui reprochent d’aimer un homme qui n’est pas libre, sans se poser la question de savoir ce que cela représentait pour elle. On ne décide pas qui on aime, ni quand. On décide seulement d’y aller ou pas […].
Comme il y eut en son temps quelques pamphlets célèbres qui firent se lézarder les dingues de vertus et autres crétinismes sociétaux bien ancrés dans des cerveaux mal réveillés, savourons ce missile d’outre-pensée qui démontre combien la femme est encore à des années-lumière de sa libération, donc de sa vie à prendre en mains. Outre la courageuse politique de la dénatalité prônée ici ou là (notamment dans certains États de l’Inde), ce texte en appelle aussi à la responsabilité des hommes qui se définissent plus par leurs actes que par leur paternité ; et qui doivent donc aussi laisser à la femme le total choix de sa vie, et donc de ses sentiments et de son corps !
Les exigences sociétales n’ont pas à interférer dans le choix de vie d’un être humain. Il faut, après avoir refermé ce livre, voir (ou revoir) Little Big Man.

François Xavier

Pia Petersen, Instinct primaire, coll. "Les Affranchis", Nil, octobre 2013, 112 p. – 8,50 €

Aucun commentaire pour ce contenu.