Jean Onimus réveille le poète qui est en nous

Le poétique est bien au-delà de la poésie, il englobe d’autres champs, de vastes mondes peuplés de mouvements, de musiques et de peintures, de littérature et d’images ; bref, l’ensemble de la production culturelle donc, oui, posons-nous la question : qu’entendons-nous exactement par poétique ?

Pour y répondre, Jean Onimus (1909-2007), essayiste et agrégé de lettres classiques, qui a publié plusieurs ouvrages sur les questions du savoir et de l’enseignement, de la religion, de la poésie et des mutations de la société, nous invite à une réflexion sur nous-même.
Le poétique est omniprésent, mais vous y pensez peu car invisible, insaisissable pour le troupeau hypnotisé par son écran qu’il en arrive désormais à traverser la rue sans même regarder où il marche, pensant que les algorithmes pourvoiront à sa sécurité (la dinde que j’ai failli écraser ce matin, place Balard, si tu me lis, tu te reconnaîtras…). Honnis soit cette approche moderniste d’une génération perdue, tournée exclusivement vers l’extérieur, formée – et soumise – au seul progrès, à cette technologie si invasive, qu’elle ne s’est même pas rendue compte qu’elle participait au génocide du poétique. Esclave de son téléphone un jour, esclave des robots demain, adieu tout dessein spirituel alors…

Mais l’Homme ne peut vivre que dans une société du travail, du rendement et du plaisir immédiat : tout n’est pas que spectacle. Attention, le divertissement continuel n’a qu’un seul but : vous aliéner !

D’ailleurs le président Macaron ne s’en cache plus, lui qui vient de balayer d’un revers de main le traditionnel entretien du 14 juillet car sa pensée est trop complexe, dixit le communiqué de l’Elysée. Vous n’êtes pas au niveau, circulez, il n’y a rien à voir !
Mais, comme l’a si bien noté une journaliste de BFMTV dans le journal de 13heures du 29 juin 2017, en commentant la publication de la photo officielle dans laquelle le président a cru malin de faire figurer trois livres de la Pléiade, dont Le rouge et le noir : « l’histoire d’un jeune homme ambitieux qui se termine... par une catastrophe ». Prémonitoire ?

Face aux périls qui nous attendent quoi de mieux que le poétique pour redonner du sens, conjurer l’excès de mal qui ronge notre société ? C’est par la poésie que se réveillera l’exubérance vitale à nos vies ternes et sans but, que se déploiera les énergies libératrices, que l’émerveillement jaillira dans les cœurs et mettra en lumière la beauté du monde dès que l’on sort de nos ville-mouroirs…

D'ailleurs, le plus insomniaque de nos piétons parisiens, Christian Doumet, ne dit-il pas dans son remarquable Paris et autres déambulations (Fata Morgana, 2017) qu'il appelle poétique la science des associations que le langage fait naître entre les choses visibles et invisibles ? Le poétique ne change rien au monde : c'est sa chance. Il se peut cependant qu'à travers l'inflexion de ses courbes, il le préfigure.

En effet : on ne peut vivre humainement qu’en poète, martèle Jean Onimus, car ce qui est utile au progrès c’est l’intelligence, non le ratio du dernier prêt obtenu pour acheter la dernière voiture à la mode, ou le dernier téléphone…

Oubliez donc un peu ce que vous avez appris pour mieux ressentir : le poétique ne relève que de l’exister, le savoir l’encombre. Et si nous commencions par repenser l’approche du poétique à l’école ? Laquelle ne favorise pas la création imaginaire (le verbe rêver y est chargé de connotations fâcheuses) et impose au poète une forte personnalité pour résister au décervelage officiel, je peux d’ailleurs en témoigner…

Or, le poétique est ontologique : il participe du mystère de l’existence mais surtout il procure une sorte de plénitude dans l’intensité de notre présence au monde, quand le prosaïque impose une frustration ; laquelle est pain béni pour le Marché qui ne cherche qu’à vous vendre des objets dont vous n’avez, en réalité, aucun besoin… Consommateur plutôt qu’individu, le prosaïque nous parque au-dehors de nous-mêmes, mais comme le monde des sens n’est pas celui de la connaissance, pour être heureux, en phase avec ce monde unipolaire qui marche sur la tête, il convient de lâcher prise et découvrir le sens qui est ailleurs, comme disait Mulder dans une série TV, il est dans le déploiement de l’existence où s’imposent des valeurs, c’est-à-dire des intentions.

Alors, si la nature nous a offert ce curieux pouvoir de création qui nous est propre, osons nous l’approprier et transcender le quotidien… Carpe diem !

François Xavier

Jean Onimus, Qu’est-ce que le poétique ? Poesis, février 2017, 224 p. – 18,00 euros

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