Jardin d’Eden ou jardin de la Résistance ?

Rencontré au détour des pages des Jardins en temps de guerre, signé Teodor Cerić, un hétéronyme bosniaque que Marco Martella utilisa pour mieux se perdre dans les périls du vacarme entourant le sanctuaire qu’est le jardin, le voilà démasqué puisqu’il est temps d’aller à l’essentiel si l’on ne veut pas assister de son vivant à la catastrophe générale. Quelle qu’en soit la finalité, puisque de paix, réelle, jamais vraiment il n’en est question, notre civilisation qui profane chaque jour la Nature a de sombres jours devant elle. Ainsi, seule la protection florale œuvre désormais à offrir à l’âme une paix intérieure en lui imposant un panorama accueillant, une beauté bucolique à la poésie toute pastorale…

Au cœur de notre système hypocrite qui emmerde le monde pour officiellement faire la guerre à la pollution – aux voitures surtout car on ne touche pas au trafic maritime, même si l’on sait depuis 2009, grâce au Guardian, que le centième de la flotte maritime mondiale pollue autant que l’ensemble de huit cents millions de voitures qui roulent sur la planète, confirmé en 2015 par une enquête française qui démontra qu’un paquebot, même à quai, pollue autant qu’un million de véhicules, on continue à penser voiture électrique mais à ne surtout pas légiférer sur les moteurs et carburants utilisés par les porte-containers, n’est-ce pas monsieur Hulot ?!! –, bref il y a bien péril en la demeure et Voltaire est toujours à l’ordre du jour.

Du jardin de l’Ile verte, offrant au narrateur la même stupéfiante découverte que Saint-Preux arrivant à l’Elysée – le jardin de Julie dans La Nouvelle Héloïse –  c’est bien un paradis sauvage qui se déploie au-delà du portail franchi, un havre d’arbustes et de rosiers sauvages entremêlés, formant une arche verdoyante et odorante, grisant le visiteur qui soudain ressent avoir les pieds sur terre, cette terre originelle qui n’a pas disparue mais que la civilisation a occultée pour mieux se vendre au dieu digital dont l’intelligence artificielle, fille unique et meurtrière, aura raison des Hommes d’ici quelques décennies…

Si Marco Martella aime à sillonner le monde à la découverte de nouveaux jardins oubliés – ici merveilleusement décrits – j’aime, moi, dès mes retours répétés sur mes terres de naissance, m’enfuir dans le petit bois derrière les agrumes qui cachent les chambres aux voisins, pour mieux ressentir l’authentique contact avec l’énergie tellurique. Sentir les arômes des herbes folles, caresser le liège des troncs, écouter le chant des arbres qui jouent avec le vent…
Y emporter cet ouvrage alors pour lire lentement la découverte de Greystone, le jardin de Jorn de Précy, tout aussi envahi que le mien, où les orties ne sont pas chassées car elles lui rappellent les peines qui l’habitent et qu’il ne veut – ne peut – faire disparaître tout comme mon bois est interdit au jardinier pour que règne le naturel loin des ardeurs de l’ordre ; ou bien le Sacro Bosco au nord de Rome, peuplé de drôles de statues, replié sur lui-même, réveillant le divin qui sommeillait dans la nature ; ou encore le jardin en terrasse d’Hermann Hesse, dans le village suisse de Montagnola dont il ne reste… que des panneaux touristiques entre des rangés d’immeubles dominants le lac de Lugano.

Pour vivre poétiquement le monde il faut convenir de s’isoler, rejeter ces réseaux sociaux qui abrutissent, refuser ce vivre ensemble qui avilie, pour recouvrer au fond de soi le lien tangible qui nous lie à la terre, cette nature qui nous a toujours nourris et soignés, sans qui nous ne serions rien, et qui va finir par justifier – si nous ne la sauvons pas rapidement – notre génocide par les machines bientôt dotées d’une intelligence artificielle qui agira par simple pragmatisme : pour sauver la terre, éradiquer l’Homme !

François Xavier

Marco Martella, Un petit monde, un monde parfait, Poesis, février 2018, 140 p. – 18 €

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