Frédéric Saenen : Stay behind !

Stay behind ! A la fois injonction vitale et code désignant les réseaux dormants de la guerre froide, quand les services occidentaux organisaient une hypothétique résistance antisoviétique. 


Stay behind est le deuxième roman du Liégeois Frédéric Saenen, spécialiste de Céline et du pamphlet, remarqué avec La Danse de Pluton comme l’un des espoirs des Lettres mosanes. Je savais, pour avoir recueilli ses confidences entre deux Orval tempérés, que Frédéric Saenen s’était plongé dans l’histoire glauque des années 80, quand la Belgique servit - une fois de plus - de laboratoire dans le cadre d’une stratégie de la tension : groupuscules terroristes plus ou moins bidon, abjectes tueries dans les supermarchés, égorgements et pendaisons « érotiques » de témoins gênants, vols d’armes dans des casernes, ballets multicolores… Unités spéciales et polices plus ou moins parallèles s’en donnaient à cœur joie dans le bac à sable gluant qu’était devenu the Land of Confusion, pour citer le groupe Genesis : un vrai film noir dans le genre Romanzo criminale.


Entre son compatriote Georges Simenon et le rude Ian Rankin, Saenen utilise ce fumier pour bâtir l’étrange roman d’un membre du lumpenproletariat wallon embrigadé dans un groupe paramilitaire qui, pour sauver l’Occident, pratique une forme particulière de tir au pistolet en écoutant Michel Sardou. Sur son lit de mort, l’ancien tireur d’élite se confie à son filleul, qu’il a aimé et protégé comme un fils à la suite d’une promesse scellée par le sang versé. Saenen nous introduit dans les bas-fonds de Liège et de sa banlieue, chez les prolétaires frustrés d’une certaine Wallonie, corrompue jusqu’à l’os. Sa prose sans fioriture, minimaliste et même, à certains moments choisis, proche du slam ou du rap, fait parler ce quart-monde en perdition, où se croisent indicateurs et mythomanes, toqués et pauvres types. Surprenant roman, à mille lieues de l’autofiction (né en 1973, Saenen a donc un alibi en béton) ou des bergeries psychologisantes (même si l’amour s’y cache), le brutal Stay behind glace et désarçonne. Saenen ? Élément dangereux. À surveiller avec attention.


Christopher Gérard


Frédéric Saenen, Stay behind, Editions Weirich, 176 pages, 14€

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