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Le Couteau des sables ou l'innocence du sang

Il y a désormais, pour moi, deux couteaux essentiels : celui de Polanski (Le couteau dans l’eau, 1962, son premier et sans doute son authentique chef-d’œuvre tourné dans un noir et blanc délicat et ciselé au plus près d’acteurs magnifiques) et puis celui-ci, couteau de papier aux mille scintillements, aussi dangereux qu’il est attirant, aussi cruel qu’il en devient jouissif… jusqu’à un certain dénouement qui claque dans le silence de la lecture, explosion finale des neurones digne de l’une des fins les plus hallucinantes du roman noir qu’un certain Philippe Djian nous imposa en 2010 (Incidences).
Un soir pluvieux, un homme est poignardé dans une petite rue parisienne. Son fils engage un détective privé sur l’île grecque où est enterré le défunt car la police cafouille. Puis il se suicide en prononçant une phrase dans une langue inconnue. La photo d’un mystérieux tableau refait surface ainsi qu’une carte d’un désert, en Afrique du Sud…
Baignant dans une atmosphère décalée, cet étrange roman noir est aussi une histoire de filiation, de la dégénérescence du marché de l’art, de la perversion inassouvie des hommes et de la bonté de certains pour la gente animale. Corsé mais jamais amer, truffé de clins d’œil qui appellent des images venant se juxtaposer dans la trame – l’avocat afrikaner Kurt, sans foi ni loi, ressemble au colonel Kurtz d’Apocalypse now) distillant ainsi l’ombre planant d’un étrange mal comme si cette famille était maudite. Le style détaillé au rythme court amorce une lente descente ponctuée de stations éclairées où rien ne se passe jamais comme prévu mais dont la finalité repose sur un non-dit implicite que le détective privé réengagé par un mystérieux marchand d’art russe devinera, soit par jeu de la logique, soit par expérience… Enveloppant plusieurs époques, et donc plusieurs narrations, l'histoire prend de plus en plus de consistance au fur et à mesure que la pelote se déroule. Le tout troussé par une traduction au cordeau offrant un plaisir des mots, roman noir, littéraire et décapant, à découvrir au plus vite. 

François Xavier

Minos Efstathiadis, Le Couteau des sables, traduit du grec par Lucile Arnoux-Farnoux, coll. actes noirs, Actes Sud, mars 2023, 224 p.-, 21,80 €

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