Microfictions II, ou l’art du contrepied selon Régis Jauffret

Comment résumer le monde autrement que par la caricature afin de mieux cerner ce bât qui ne cesse de blesser – et pas seulement notre amour-propre, si je peux oser ce jeu de mots. Entre la médisance et le mépris de classe, l’impossible subordination de l’homme sur la femme, les désirs outranciers de la libido et le surréalisme que le quotidien s’ingénie à infiltrer dans notre vécu, combien de centaines d’exemples sont plus parlants que le discours endiablé d’un tribun en mal d’électeurs ?
Cinq cents, selon Régis Jauffret qui s’ingénie avec malice, verve et perspicacité à nous dresser les micro-portraits d’autant de personnages aliénés par l’emprise du monde dans son absurdité, au point que l’on sourit à chaque page, même lorsque les dérives sexuelles sont grotesques ; mais justement, c’est parce que c’est enlevé, improbable, que cela claque juste !
D'autant qu'aux jeux de rôles, Régis Jauffret ajoute une touche de piment, un style, une musique poétique, une rythmique endiablée qui surprend et donne, pour chaque nouvelle qui ne dépasse jamais trois pages, une force inouïe, décuplée par cette écriture décalée.

Nous avons pris de l'altitude. Un orage a éclaté, jetant sur nous une lumière blanche qui nous rendait visibles depuis l'espace. Nous nous sommes fracassés sur un sol dur comme un tarmac. On aurait dit qu'un millénaire s'était écoulé. On se perdait dans des labyrinthes de cavernes grevées de cratères arrachés à la lune. Nous avions eu tort de prendre nos distances avec la réalité. Furieuse elle avait fui comme une soucoupe volante. Nous abandonnant à l'imaginaire sans issue où vivent les fous.

Comme un anti-Perec, Jauffret – qui reçut le Goncourt de la nouvelle 2018 pour cet opus – joue sur l’énormité de l’acte, la violence de l’époque, la monstruosité des faits que l’on pourrait commettre juste le temps d’un quiproquo, d’une opportunité, d’une maladresse, d’un désir…
On serait tenté de croire que la mégalomanie s’est emparée de tout un chacun : réussir, parvenir, s’extraire, tout est bon pour justifier une conduite inqualifiable, sauf à vouloir s’identifier à l’esprit actuel. Toujours plus, branché, connecté, au goût du jour, à la mode, dans l’aveuglement de l’humain, bafoué, ridiculisé par l’appât du gain, du pouvoir... du salace au fric, grand écart au pays du hashtag-roi, seul laisser-passer qui prévaut sur tout.
Sauf si l’absurde parvient à se glisser en catimini dans la belle équation digitale et à tout remettre à bas.

François Xavier

Régis Jauffret, Microfictions II, Folio, août 2019, 1152 p.-, 12,80 €

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