Le Bon Dieu sans les Confessions - "Sermons sur l'Ecriture" de Saint Augustin

Édition, dans la collection « Bouquins », de Sermons de saint Augustin depuis longtemps introuvables. Car Augustin n’est pas seulement l’auteur des Confessions. C’était aussi un ecclésiastique qui ne cessait de porter à ses ouailles la parole de Dieu.

 

Saint Augustin fait partie des écrivains mythiques, autrement dit de ceux, bien peu nombreux, de la vie ou de l’œuvre desquels tout un chacun connaît certains épisodes sans pour autant les avoir lus ou étudiés de près. Tout le monde connaît Ulysse ; tout le monde connaît Cosette ; tout le monde connaît Gargantua. Mais tout le monde n’a pas forcément lu Homère, Hugo ou Rabelais. Avec saint Augustin, quelques « références » aussitôt surgissent : vol de poires, fascination pour les jeux du cirque (aujourd’hui, ce serait sans doute pour la corrida), rejet de la concubine, description de cette étrange aporie qui de nous s’empare quand nous essayons de définir le temps, cette chose que nous percevons tous, mais qui semble échapper aux mots (et que saint Augustin lui-même s’amuse à distordre en écrivant un latin très proche de celui de Cicéron, distant de quatre siècles).

 

Mais tout cela, bien sûr, est forcément approximatif et, pis encore, terriblement incomplet. Car les Confessions, d’où nous viennent ces images, ne sont que la partie émergée du gigantesque iceberg constitué par l’ensemble des textes de saint Augustin. On a généralement entendu parler de sa Cité de Dieu, peut-être aussi de son traité sur la Trinité, mais on oublie purement et simplement la masse ahurissante de tous ces sermons qu’il produisait chaque semaine aussi régulièrement que Bach livrait ses cantates. Et c’est cette lacune qu’a voulu combler Maxence Caron, grand amateur de notes philosophiques et musicales, en éditant pour la collection « Bouquins » un épais volume de 1500 pages. Cette lacune, ou plus exactement une partie de cette lacune, car, dans ces 1500 pages, il n’y a que cent quatre-vingt-trois sermons, uniquement les sermones — « sermons » est presque un faux ami, car le mot latin original s’appliquait surtout à des conversations — renvoyant aux Saintes Écritures.  

 

On ne saurait bien entendu lire d’une traite la totalité de ces textes, mais l’épaisseur de l’ouvrage n’est pas seule en cause. Il est bien difficile de ne pas être assez vite abattu ou agacé, comme on voudra, par la véhémence constante de toutes ces pages, y compris de celles qui entendent traiter de la miséricorde divine. Saint Augustin ne fait pas dans le doucereux, il fait dans l’invective. Coupables nous sommes nés — car nul d’entre nous n’échappe au péché originel —, coupables nous sommes, et, si la Rédemption est possible, et si le chemin qui conduit jusqu’à elle commence peut-être in utero, il est visiblement bien plus long que le long way to Tipperary, ne serait-ce que parce que, entre autres, il est aussi coupable pour saint Augustin de songer à commettre un crime que de le commettre. Minority Report, nous voici. Benjamin Franklin ne pensait sans doute pas précisément à saint Augustin lorsqu’il déclara : « Setting too good an example is a kind of slander seldom forgiven », mais c’est bien le genre de danger encouru par ce maître de vertu. Bossuet allait prêcher dans le même sens quand il expliquerait, quelques siècles plus tard, qu’il suffit d’adopter une conduite irréprochable, même de manière purement formelle et mécanique au départ, pour devenir vraiment un être irréprochable, mais Bossuet faisait l’effort d’expliquer. Bossuet était plus pédagogue et fondait sa pédagogie tout autant sur l’encouragement que sur la punition. Le profane que nous sommes ne comprend pas très bien pourquoi, dans son introduction, Maxence Caron s’étonne que saint Augustin ait pu jouir d’une certaine faveur auprès des protestants. Le seul vin dont celui-ci remplisse son calice est un vin de rigueur.

 

Pourtant, le sentiment que nous éprouvons au fur et à mesure que nous découvrons ces pages, même si la lecture que nous en faisons est un peu « heurtée », est loin d’être du désespoir. D’abord parce que, paradoxalement, nous ne pouvons nous empêcher de penser que l’ici-bas dans lequel nous vivotons hic et nunc n’est pas si mauvais, pas aussi sombre que saint Augustin nous le dépeint. Il doit bien y avoir ici ou là, même s’ils ne sont pas parfaits, quelques hommes de bonne volonté ou, comme on dit dans un autre contexte, quelques justes.

 

Ensuite parce que nous ne saurions rester insensibles en entendant cette voix, armée par la force des choses de sa seule raison humaine, tenter de démontrer à chaque mot les insuffisances de cette même raison humaine et ses limites dérisoires face à une raison supérieure et inaccessible. L’absurdité quasi-sisyphéenne de cette seule opération suffit à introduire de l’infini dans notre fini. On peut, évidemment, trouver bien systématiques toutes les formules de retournement « dialectique » qui parsèment la prose augustinienne — « mourir pour ne pas mourir », « non pas voir pour croire, mais croire pour voir » —, mais cette rhétorique est le gage de la liberté humaine, puisque les Écritures sont appréhendées comme une allégorie et doivent donc faire constamment l’objet d’une interprétation, et ce recours au Verbe n’est autre que le moyen le plus sûr d’approcher du divin. Et de rendre la transcendance divine un tant soit peu immanente. On peut sursauter en lisant la dernière phrase de l’introduction de Maxence Caron : « Il pensait à nous », dans la mesure où on a souvent l’impression qu’Augustin pense d’abord à lui-même et, au mieux, ne fait que projeter sur les autres des traits qui lui sont propres. Mais, de même que Proust nous a expliqué que tout livre a un second auteur — son lecteur, il se joue ici un « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette… » dans lequel la distinction entre égoïsme et altruisme devient très vite nulle et non-avenue.

 

FAL

 

Saint Augustin, Sermons sur l’Écriture, traduction de l’Abbé Jean-Baptiste Raulx, Édition établie et présentée par Maxence Caron, Robert Laffont, collection « Bouquins », mars 2014, 33€

 

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