Roberto Calasso : (si) La Folie Baudelaire m'était contée

Et si. Par la grâce d’un tour de passe-passe, un tournemain dont seul un magicien des mots, érudit et un peu fou était capable, nous pouvions visiter Baudelaire comme l’un de ces salons de l’époque, qu’y trouverions-nous ?

Voilà un défi que Roberto Calasso s’est imposé car l’on ne résiste pas à ce type d’invitation. Qu’y a-t-il de mieux que d’aller flâner dans Baudelaire et d’y trouver de tout, le mémorable et l’éphémère, le sublime et la pacotille. D’une salle l’autre l’émotion est là, la surprise claque et l’air impur fait office de ciment. Le visiteur pourra même s’offrir le luxe de marcher les yeux fermés, seuls les vapeurs opiacées troubleront son âme et le feu d’artifices explosera sous ses paupières closes. Voici une clé de dépistage pour qui aime comprendre pourquoi les choses se transforment et d’où provient la littérature totale du XXIe siècle.

Baudelaire a été le chantre de l’immédiateté en manipulant l’expression sauvage en vouant un culte absolu à la circulation des mots, sorte d’écriture immédiate, laissant jaculer sans frontières le flux mental de ses obsessions. Ouvrez donc n’importe quelle page écrite par Baudelaire et vous sentirez le souffle du large qui emportera votre déprime. Et si vous délaissez la poésie pour la prose vous ouvrez une seconde porte du plaisir, celle du contemplateur qui évoque les peintres…

Certains maîtres de l’époque n’ont pas supporté le temps et se sont recroquevillés sur le calendrier, ne restent alors plus que ces quelques lignes écrites par Baudelaire. Témoignages ancrés dans un esprit de flânerie mêlé à une foule qui s’égaille, voilà qu’un système nerveux se dessine et qui va électriser le monde entier. La vague Baudelaire va tout traverser, tout chambouler, et influencer aussi bien Chateaubriand, Stendhal, Ingres, Delacroix, Flaubert, Nietzche, Manet, Degas, Rimbaud, Lautréamont… Proust et tant d’autres emportés dans l’écume de cette déferlante qui n’est pas si aisée à surfer.

Le rêve du bordel-musée nous présente un Baudelaire englué dans la souffrance et l’embarras, écrivant à son ami Asselineau le rêve qu’il fit dans la nuit du 12 au 13 mars 1856. Il est fatigué, brisé, moulu par le dos, les hanches… mais si son corps s’exprime c’est surtout pour expier les sursauts de son esprit. Victime de sa lucidité Baudelaire ? Certainement. On ne soupçonnera jamais assez qu’un poète est un visionnaire, et Baudelaire, à travers sa collaboration au Siècle sent l’avènement de la bêtise arriver. Nous sommes à l’aurore de son triomphe ! Et pour la première fois un écrivain sent le besoin de la voir se concentrer en un lieu alors que l’épopée de la bêtise sera célébrée à travers les vicissitudes de Bouvard et Pécuchet. Le Siècle obéissait à la double vocation d’être le journal idéal de Bouvard et Pécuchet comme du pharmacien Homais. Baudelaire le décrivait ainsi : "Il y a un brave journal où chacun sait tout et parle de tout, où chaque rédacteur, universel et encyclopédique comme les citoyens de la vieille Rome, peut enseigner tour à tour politique, religion, économie, beaux-arts, philosophie, littérature." C’est une vision majestueuse.
Que dirait-il aujourd’hui de nos chers plagiaires et autres BHL ?

Accompagné d’illustrations en couleur au fil des pages, cet essai lumineux emporte le lecteur dans la toile d’araignée que Baudelaire ne quitta finalement jamais, accroché à la rédaction des revues, aux cafés, aux théâtres, aux visites des ateliers. Mais loin de se prendre les pattes dans le tapis de ses broderies, Baudelaire affirmera que les inventions d’inconnus réclament des formes nouvelles, une doctrine qui le mènera à se précipiter vers l’avant-garde. Une manière de nous inciter à la suivre. Un petit pas de lecteur, un grand bond vers la connaissance.

 

François Xavier

 

Roberto Calasso, La Folie Baudelaire, Gallimard, octobre 2011, 496 p.-, 29,90 euro

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