Michel Philippo, Le crépuscule des ronces : Le mot juste

Les livres sont des passagers de l’âme. Celui de Michel Philippo, Le crépuscule des ronces, est de ceux-là. Un ouvrage qui vous transforme par son écriture et le thème profond des relations amicales, celles qui marquent à la vie, à la mort. Deux couples, deux histoires parallèles, disent les trahisons, les échecs et les fêlures de nos vies ordinaires ; deux récits qui s’imbriquent et se superposent, témoignant par cette architecture de la tragique complexité des rapports humains. Ce roman a quelque chose de la poésie de Dante. Dans une première partie, on perd pied en s’enfonçant dans l’inconnu. Puis la découverte de la souffrance – plutôt que de nous faire sombrer davantage – nous élève vers l’intensité infinie et immortelle de l’amitié. L’enfer n’est pas toujours là où on le pense. L’auteur nous fait partager une écriture toute en précision. L’économie de verbes contraste avec un vocabulaire étincelant. Phrases taillées court, mais précises, comme ces buis dans les jardins à la française. Il y a des éclats brillants dans cette prose très personnelle : « Parfois, dans la continuité fastueuse des façades, contraste le chicot incongru d’une bâtisse délabrée. » Cela ressemble à des vers blancs dissimulés dans la prose et décrit très bien Bruxelles dont l’architecture a été massacrée par des promoteurs avides.

Michel Philippo nous fait découvrir l’envers du décor, le métier d’écrivain, dans sa nervosité intime, autant que dans ce rôle si peu familier de bateleur. Ainsi, il décrit avec perspicacité ce que vivent les auteurs dans les salons et foires du livre. Ces séances éprouvantes dans le bruit, attendant qu’un passant avide de stars de la télévision vienne soupeser « un livre ou l’autre comme une botte de radis à l’étal, feuillette quelques pages et repart le sourire gêné et les mains vides ». Jolie formule qui traduit bien l’abyssale expérience du travail solitaire d’écriture avec celui de la vente ; la dichotomie entre le travail élongé dans le temps avec son lent ciselage des phrases et la fraction de seconde où le chaland prononce les mots : « Bon, ben, j’vais vous l’prendre. » Il y a aussi ces jolis passages de mise en abyme par l’introspection dans l’écriture, où le moindre dérangement d’un proche passe pour une détestable provocation. Le mot juste est plus fragile qu’un papillon, furtif, inutile et beau.

Ce livre est là pour vous surprendre, sa parade de mots sophistiqués ressemble aux effluves un peu entêtants d’un parfum capiteux. Mais s’il ne fallait en retenir qu’une image, ce serait cette phrase essentielle et nécessaire, face aux douleurs de l’âme, à la page 65 : « J’éprouve soudain l’urgence d’écrire. » Et des personnages de roman, ce besoin de se « soumettre à leur existence de papier ». Voilà bien une analyse sublimée du rôle de l’écrivain par un talent confirmé.

Patrick F. Cavenair

Michel Philippo, Le crépuscule des ronces, Éditions Marivole, août 2018, 134 pages, 15,90 €

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