Édouard Brasey, Les Eaux douces d’Europe : Voyage intérieur

« Durant la dernière guerre, j’étais caché dans le ventre de ma mère », semble déplorer Édouard Brasey. Devenu adulte, et après avoir publié plus de quatre-vingt ouvrages dans différentes collections, l’auteur revient sur ses pas, à Istanbul, pour fuir un peu et se retrouver beaucoup. Istanbul avec ses odeurs, ses bruits et ses couleurs aux évocations mortifères.

Les jours coulent aussi noirs que le Bosphore dans cette ville parcourue dans l’hiver où la neige estompe les couleurs « sous une coulée de lave blanche ». Brasey joue avec les contrastes comme autant d’oxymores, pour mieux dissimuler son spleen. 

Dans Les eaux douces d'Europe, l’auteur décrit avec le pinceau d’un impressionniste les couleurs éteintes de la ville placée « sous la cendre froide des nuages », une nuée de souvenirs éteints lui reviennent au détour des rues stambouliotes. Le narrateur nous emmène dans un voyage initiatique à la rencontre de l’amour oriental, sensuel ou mystique. 

L'écriture est souple, harmonieuse, avec des ondulations raffinées qui nous laissent filer doucement dans un texte, à la manière d’une caïque sur les rives du Bosphore. Justement, on y respire les effluves du détroit, saignée historique et géographique entre l’Europe et l'Asie, comparée par l narrateur à un sexe féminin. 

Peu à peu, le personnage principal découvre dans cette ville sombre les puissances de l’amour jusqu'à en être bouleversé. On accompagne alors le héros dans ces pages émouvantes de sensualité et d’amour où le personnage, aveugle à l'amertume des femmes, provoque le malheur des unes et la félicitée des autres. 

Ce voyage intérieur entre le passé et le présent, les rencontres avec des personnages haut en couleur, font de ce récit initiatique une divagation personnelle qui n’est pas sans rappeler les ouvrages de Patrick Modiano. On ne découvrira rien de la ville, ni de son histoire, ni de ses coutumes, simplement on se laissera porter par cette pérégrination auprès d’improbables personnages : un médecin alcoolique, un vieillard évanescent, une danseuse mutique et emplie de tendresse. Et puis ce père et cette mère qu’on cherche en vain. 

Confondre son histoire, accepter le présente et bâtir l’avenir. Et pourtant, « nous nous croyons les maîtres de notre destinée : nous ne sommes que l’écume du hasard ».

Patrick F. Cavenair

Édouard Brasey, Les Eaux douces d’Europe, Éditions Ramsay, avril 2019, 250 pages, 18 €

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