Le Malaisant : le fuir ou l'aimer ?

Envoûtant, diabolique, épuisant mais aussi drôle, épique, puissant : ce roman à ne pas mettre entre toutes les mains porte en lui toutes les controverses humaines résumées par une célèbre chanson, Je t’aime moi non plus. Et quand cette passion-répulsion se vit dans l’espace slave, cela donne encore plus d’explosions, de violence, d’amour aussi car rien n’est mesuré, tout s’amplifie au contact de ce feu dévastateur ; mais est-ce encore de l’amour ?
On retrouve l’atmosphère de Lunes de fiel porté à son paroxysme par cette folie polonaise qui fait aussi tout le charme de ces Européens de l’Est qui passent du rire aux larmes en une fraction de seconde, qui ne cachent rien, savourent tout autant qu’ils souffrent, aiment et haïssent avec la même force. Natacha Sztabowicz subit le dictat d’un homme tempétueux, mais alors pourquoi ne le quitte-t-elle pas ? Ou plutôt pourquoi est-elle revenue : par sadisme ? par amour ? par faiblesse ? Folle ou hystérique ? Les deux, dirait Freud. Il faut dire que la lecture des scènes de disputes laisse sans voix, on se croirait dans un film d’Andrzej Zulawski, au hasard Mes nuits sont plus belles que vos jours – superbe roman partiellement massacré à l’écran malgré un Jacques Dutronc au sommet – ou alors L’important c’est d’aimer dans lequel Romy Schneider endosse certaines scènes compliquées. Oui, Natacha Sztabowicz s’obstine à aimer, à retomber enceinte malgré les avertissements de ce tyran. Lequel finira par se jeter du pont de Normandie mais sans doute bien trop tard, après avoir traumatisé ses enfants et détruit de l’intérieur celle qui croit encore et toujours que l’amour est plus fort. Mais chère Natacha Sztabowicz ce n’est en rien de l’amour, ce n’est surtout pas de l’amour. C’est une forme de désir détourné, une volonté de puissance, de contrôle qui pousse un être humain à toutes les vilenies possibles, jusqu’à frapper du pied un enfant malade, alité, à la tête… Oui, maladie il y a, certes, mais responsabilité aussi de la mère de ne pas avoir protégé, donc éloigné ses enfants plus tôt de ce monstre de sang froid.
Parfaitement écrit et articulé, ce roman glaçant est une pierre de plus sur la tombe de l’Amour, le vrai, celui qui semble avoir été disloqué, disparu avec Dieu quand Nietzsche décréta que le sur-Homme avait désormais le pouvoir absolu… Et pour s'en convaincre définitivement, on lira, de l'extraordinaire et troisième mousquetaire Stanislaw Witkiewicz (après Gombrowicz et Schulz) L'inassouvissement.

François Xavier

Natacha Sztabowicz, Le Malaisant, coll. Littérature, Éditions Marie Romaine, novembre 2023, 208 p.-, 18€

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